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Alain Serpaggi
Alain Serpaggi
L’homme-orchestre
Alain Serpaggi est un « incontournable » de la grande famille Alpine. Pilote, vendeur, metteur au point, il aura tout connu de la firme dieppoise entre 1968 et 1995.
S’il naît à Madagascar, en 1938, Alain Serpaggi est un vrai Normand, qui commence à l’âge de 24 ans une carrière de vendeur de voitures. La marque qu’il représente ? Renault. Son violon d’Ingres ? Les rallyes automobiles, à tel point qu’il devient rapidement un pilote reconnu dans sa région. La rencontre est inévitable : c’est en 1968 que Jacques Cheinisse, qui a alors troqué sa casquette de pilote pour celle de responsable chez Alpine, lui fait une honnête proposition...
En 1970, l’Alpine de Serpaggi/Le Guellec. On distingue également à leur droite Amédée Gordini, Jean-Pierre Jabouille et Jean-Luc Thérier. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R.
I l y a des pilotes touche-à-tout, le Belge Jacky Ickx en étant l’exemple le plus fameux, lui qui a tout gagné, aussi bien à moto qu’en rallyes, rallyes-raids, endurance et Formule 1. À son plus humble niveau, Alain Serpaggi est de cette trempe, très à l’aise sur circuit en vitesse comme en endurance, mais aussi en rallyes. Pourtant, et le Normand ne s’en est jamais caché, la compétition n’est pas son art favori... Il n’apprécie pas le stress qui lui est obligatoirement associé. Aussi, bien qu’il soit au niveau des meilleurs, il préfère une bonne séance d’essais ou de mise au point pour pouvoir signer des temps « canon » sur un circuit sans avoir à subir ce stress, qui est précisément ce que d’autres pilotes moins rapides recherchent. Les hommes ne sont décidément pas tous du même bois !
En 1968, Alpine a passé le cap de l’entreprise débutante : les succès sportifs en rallyes et sur circuits, le dynamisme dont elle fait preuve, les liens avec Renault enfin font que les ventes explosent. Il faut pourtant encore conforter le réseau commercial, et c’est pourquoi le profil d’Alain Serpaggi intéresse Jacques Cheinisse. Alpine a besoin de bons vendeurs qui connaissent le monde sportif, qui ont cette fibre, et Serpaggi est à l’évidence l’un d’eux. Il devient ainsi, en 1968, l’un des tout premiers vendeurs de la marque, et est basé au nouveau siège social d’Alpine d’Épinay-sur-Seine, en région parisienne.
Cela n’empêche pas Serpaggi de continuer à participer à des épreuves sportives. Cette même année, Jacques Cheinisse lui propose de courir aux 24 Heures du Mans dans une voiture officielle ; une proposition qu’un pilote ne peut pas refuser ! Serpaggi est aux anges : c’est un rêve d’enfant qui se réalise. D’autant que son coéquipier sera son ami Le Guellec. L’Alpine A210 à moteur 1500 termine 9e au général et première de sa catégorie des 1100-1600 prototypes : elle sauve l’honneur d’Alpine dont les quatre fers de lance à moteur V8 ont piteusement abandonné. L’expérience est inoubliable. L’année suivante, Serpaggi fait aussi bien au volant d’une A210 équipée cette fois d’un petit moteur 1000 : 12e au général, 1er des Sport-protos 1000-1100, 1er à l’indice de performance.
Toujours au Mans, en 1969 cette fois : au ravitaillement, Alain Serpaggi sort de son A210. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R.
La période monoplace
Dès lors, Serpaggi partage son temps chez Alpine entre vente et pilotage et Jacques Cheinisse lui propose bientôt de piloter les monoplaces de Formule France... avec une idée derrière la tête : faire du pilote un cheval de Troie auprès de ses pairs, puisque l’homme est chargé pendant les week-ends de courses de trouver des clients pour les Alpine de Formule France. Il en vendra cinq : pas si mal, lorsque l’on sait qu’un plateau de circuit compte au maximum une trentaine de voitures !
Endurance, circuits... Et les rallyes, dans tout ça ? Ils constituent après tout la discipline d’origine du pilote. En ce tournant des années 1970, les Berlinette sont devenues les voitures à battre, et le programme sportif de l’usine est très important. C’est d’ailleurs à ce programme et aux résultats qu’il obtient que l’entreprise doit sa notoriété et sa bonne santé commerciale. Serpaggi, sans faire partie de l’équipe officielle des pilotes dans ce domaine, est souvent employé comme « pigiste de luxe », pour courir mais aussi dans le cadre de reconnaissances pour les pilotes officiels qui n’en ont pas le temps. C’est malgré tout en Formule 3 qu’on le voit le plus souvent, avec des places d’honneur en Europe dans la première moitié des années 1970.
Créé en 1972, le nouveau moteur 2 l V6 Renault de compétition, première étape de la marque vers la Formule 1, est présenté à la presse l’année suivante. C’est bientôt la naissance de l’Alpine A440, suivie par l’A441 prévue pour être engagée dans le nouveau Championnat d’Europe des Sport-Prototypes. Dès 1973, Alain Serpaggi vient épauler au volant des A440 le pilote historique de la voiture, Jean-Pierre Jabouille. Pour 1974, trois voitures sont engagées dans le championnat, pour Jabouille, Serpaggi et Cudini. Les Renault survolent les débats et Serpaggi, grâce à une régularité exemplaire, devient Champion d’Europe à l’issue de la saison.
Parallèlement, Alain Serpaggi a encore le temps de participer à des épreuves de Formule 2, avec beaucoup moins de réussite il faut bien le dire, et encore aux 24 Heures du Mans où il termine 8e.
En 1974, la fameuse Alpine A440 menée de main de maître par le futur Champion d’Europe. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R.
Metteur au point
La seconde partie de la décennie 1970 va être celle de la réorientation pour le pilote devenu Champion d’Europe à 36 ans. Il se concentre sur la mise au point des voitures, ce qui lui vaut d’intégrer le Berex (Bureau d’Études et Recherches Expérimentales) à Dieppe, en somme le laboratoire sportif de Renault et d’Alpine, qui va créer certains modèles mythiques. De 1975 jusqu’à sa cessation d’activité 20 ans plus tard, Alain Serpaggi collabore à la création de modèles sportifs, aussi bien de compétition que de route : l’Alpine A310 V6, toute la série des R5 Alpine et jusqu’à la monstrueuse R5 Turbo. C’est d’ailleurs au volant de l’une d’entre elles que, ayant repris sa place derrière un volant, il est à nouveau Champion de France des rallyes de deuxième division, à 45 ans bien sonnés ! Ce n’est finalement qu’en 1989 qu’il se décide vraiment à prendre sa retraite sportive. Pour sa retraite « civile », Serpaggi attendra six ans de plus, l’année 1995. Il n’a que 57 ans : un peu jeune, certes, pour un homme encore bouillonnant, mais l’époque change, et le Berex ferme. C’est le moment de décrocher. Il se tourne ensuite vers certaines compétitions de véhicules anciens et autres démonstrations, le plus souvent au volant d’une Alpine. Au total, un nombre incalculable de courses et un palmarès enviable pour un pilote toujours fidèle à Alpine et à Renault.
Course de Formule 3 en 1972 : l’Alpine de Serpaggi est toujours bleue, mais déjà le jaune Renault fait son apparition. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault / D.R.
Pour aller plus loin...
Alpine et le moteur arrière
Les Alpine ont toujours eu un moteur placé à l’arrière, ce qui entraînait certaines conséquences : un caractère affirmé, une identité forte et l’accumulation patiente d’un savoir-faire précis. Un héritage venu de la Renault 4 CV ! Si cette dernière avait été une voiture plus traditionnelle, moteur à l’avant et propulsion, l’Alpine aurait repris cette configuration… ou ne serait jamais née. La première Alpine a été dotée d’un moteur arrière tout simplement parce qu’elle restait une 4 CV, brillamment améliorée certes, mais 4 CV tout de même. À ce propos, il est amusant de remarquer qu’il en est allé de même avec la « meilleure ennemie » de l’Alpine, la Porsche, née dans sa première version, la 356, du détournement d’une autre voiture populaire à moteur arrière : la Volkswagen Coccinelle.
La 1600 SX, comme toutes les Alpine, est à moteur arrière, c’est ce qui permet son capot avant plongeant. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections
Déséquilibre et aptitude au pilotage
L’intérêt technique du tout à l’arrière est la simplicité mais, pour conserver habitabilité et compacité, il a fallu déporter le moteur en retrait de l’axe des roues, très en porte-à-faux. Seule la boîte de vitesses passait devant cet axe. Ce poids important déplaçait le centre de gravité logique d’une voiture, habituellement situé entre les quatre roues. Le déséquilibre entraîné pouvait handicaper la tenue de route. Cependant, ce déséquilibre est négligeable pour une voiture peu puissante telle que la 4 CV. Il en va différemment des Alpine, qui ont pu atteindre plusieurs centaines de chevaux avec le V6 turbo des dernières générations.
Les Alpine avaient été pensées pour la compétition, aussi les pilotes ont-ils pu tourner cela à leur avantage : puisque le poids à l’arrière déséquilibrait la tenue de route, pourquoi ne pas en profiter pour faire décrocher l’arrière et faire partir la voiture dans de longues dérives en virages ? Cela permettait d’augmenter la vitesse de passage en courbe... pourvu que l’on soit un pilote virtuose. Autre avantage du moteur à l’arrière de l’axe des roues : il n’a plus besoin d’être au-dessus de celui-ci et peut ainsi se placer plus bas, au ras du sol. C’est tout bénéfice pour l’aérodynamisme ! De fait, il suffit de regarder une Berlinette, son avant, mais surtout son arrière, pour apprécier la fluidité de ses lignes. Avec ce capot plongeant favorisant une excellente aérodynamique, c’est éternel avantage des Alpine dotées d’un excellent coefficient de pénétration dans l’air.
Vue du moteur de l’A110 de Jean-Luc Thérier de l’East African Safari 1975. L’autocollant indique « volant à gauche ».© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections
Moteur arrière ou moteur central ?
Alors que les années 1960 et 1970 voyaient l’abandon progressif du tout à l’arrière, Alpine est resté indéfectiblement lié à la propulsion. Mieux même, continuant de se fournir chez Renault pour ses mécaniques, la marque de Dieppe a souvent dû adapter à un montage à l’arrière des pièces prévues au départ pour être montées à l’avant : un comble ! Alors, fidélité à un concept qui lui a valu la célébrité ? Nostalgie ? Peut-être un peu des deux... on peut se demander pourquoi Alpine n’a pas opéré bien avant sa conversion vers une autre disposition. Après tout, dès le passage de la plateforme de 4 CV au châssis-poutre, Alpine était en mesure de se libérer du carcan du tout à l’arrière. La marque dieppoise aurait même pu créer alors une Alpine à moteur central, a priori la configuration idéale pour une voiture de sport. Pourtant, Alpine n’a jamais pris cette option. Peut-être que les résultats excellents collectés par les A108 encourageaient la marque à poursuivre dans cette voie du moteur arrière. Ce n’était pas forcément un mauvais choix puisque c’est le déséquilibre du moteur arrière qui permettait de provoquer ces dérives très avantageuses dans les courbes. Enfin, il y a bien eu une sportive française à moteur central, la Matra Djet, mais celle-ci s’est avérée moins efficace dans les virages serrés sur les petites routes des rallyes que ses concurrentes : les Alpine.
L’A310 V6 de 1982 est certes très éloignée de l’A110, mais elle n’en conserve pas moins son moteur à l’arrière. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections
Les dernières Alpine
La question s’est reposée lors de la mise au point de la future A310 au début des années 1970 pour laquelle le moteur central devenait tentant. Après divers essais, les résultats n’étaient pas probants. Cette position oblitérait toute possibilité de passagers à l’arrière. Or, la nouvelle Alpine devait être plus « bourgeoise » que l’A110 et il était impensable qu’elle n’accueille pas quatre passagers, qu’elle ne soit pas une 2 + 2. C’est pourquoi l’A310 a été une « tout à l’arrière » avec moteur en porte-à-faux. Le problème s’est reposé en 1976 avec l’adoption du moteur V6, plus lourd : pourrait-on continuer avec cette architecture ? Eh bien, oui ! Certes, l’A310 V6 n’était pas l’Alpine la plus facile à conduire, mais on s’éloignait avec elle de la voiture de compétition. Finalement, ses conducteurs la pousseront moins dans ses retranchements que les précédentes. Idem pour la GTA dans les années 1980. En 1991, la nouvelle A610 ressemble à sa devancière, mais elle a beaucoup évolué… tout en conservant son moteur à l’arrière. Elle sera une excellente GT… mais pas une voiture de compétition ! La plus aboutie des Alpine, aura bien été la Berlinette A110. Son moteur arrière devenait un avantage grâce à sa géométrie « juste comme il faut », et son faible poids. Celles qui lui ont succédé ont été plus lourdes : un handicap pour une voiture de compétition, surtout pour une Alpine dont la légèreté originelle permettait ces fantaisies dont les plus grands pilotes ont su tirer profit.
Dernière de la lignée Alpine, l’A610 de 1991 ne déroge pas à la règle du moteur arrière. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections
« L’autre » Serpaggi
Un Serpaggi peut en cacher un autre ! C’est bien le cas pour un autre pilote de talent, le Corse Francis Serpaggi, sans lien de parenté avec Alain, qui a lui aussi mené l’essentiel de sa carrière au volant d’une Alpine. Très attaché à son île, Francis est devenu un spécialiste des rallyes en Corse, Tour de Corse et Tour Île de Beauté en tête. Pourtant, Francis Serpaggi aimait aussi courir les rallyes du sud de la France : Rallye du Var, où encore Ronde Cévenole, où il va particulièrement briller.
Après une R8 Gordini, le pilote achète une Berlinette 1300 ; à partir de là, il ne roule pratiquement qu’en A110 jusqu’en 1977. Après sa 1300 vient une 1600S, puis une 1800, et il se voit parfois confier le volant d’une Berlinette officielle comme lors du Tour de Corse 1969 où, dès la première spéciale, il signe le meilleur temps, au nez et à la barbe des pilotes officiels !
Après le retrait officiel d’Alpine de la scène des rallyes, Francis Serpaggi se tourne vers la voiture qui succède à l’A110 dans le cœur des rallyemen, la Lancia Stratos, puis la 037. Il met fin à sa carrière de pilote en 1983.