Alpine A 220

Rédaction : Albert Lallement  

La dernière d’une lignée

Fin 1967, l’écurie Alpine conçoit le châssis A 220, dans le prolongement des précédents A 210, afin d’exploiter plus efficacement le nouveau moteur V8 Gordini de 3 Litres.

Malheureusement, les résultats en course de ce nouveau châssis ne seront pas suffisamment convaincants à l’époque pour qu’Alpine poursuive son engagement officiel en endurance après la saison 1969. Pourtant, tous les espoirs semblaient permis pour la Société Automobiles Alpine avec le beau potentiel technique de sa nouvelle A 220 engagée en catégorie Prototypes. Y compris celui, particulièrement ambitieux, de remporter les 24 Heures du Mans à la faveur du nouveau règlement.

Aux 1000 Kilomètres de Paris 1968, l’Alpine A 220 réalise l’un de ses meilleurs résultats. Ici, celle de Patrick Depailler et Gérard Larrousse qui se classera 6e. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Au cours de l’année 1967, le V8 conçu par Amédée Gordini est installé dans un châssis A 210 modifié qui prend l’appellation A 211. Ce nouveau moteur représente un grand espoir pour Alpine, mais l’aérodynamisme du châssis datant déjà un peu, les performances de l’ensemble ne sont pas à la hauteur de celles attendues. Il est donc décidé de construire un nouveau châssis mieux adapté à l’encombrement et aux spécificités du volumineux V8. Ce changement de cap est tardif, mais heureusement pour Alpine, les évènements de mai 1968 repoussent l’organisation des 24 Heures de mi-juin à fin septembre. Ces trois mois précieux vont être mis à profit pour rattraper le retard et aligner quatre châssis A 220 en Groupe 6 (Sport-Prototypes) et ce, dans des conditions favorables puisque depuis janvier 1968, la Commission Sportive Internationale a limité la cylindrée de cette catégorie à 3 000 cm3. 

Le positionnement  latéral des radiateurs d’eau sur l’A 220 de 1968 a permis d’affiner l’aérodynamique du capot avant. La petite prise d’air entre les phares est celle du radiateur d’huile. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Châssis tubulaire

Comme sur la précédente A 211, le châssis de l’A 220 est formé autour d’un treillis tubulaire en acier au Chrome Molybdène, avec également des éléments en Titane pour gagner du poids. Un arceau cage est noyé dans le panneau du toit constituant une véritable cellule de survie. Par ailleurs, les seuils de porte ont été rehaussés et agrandis afin d’y loger les réservoirs d’essence en caoutchouc souple d’une contenance totale de 120 litres. À noter que pour la première fois chez Alpine le poste de pilotage dispose d’une conduite à droite avec le levier de changement de vitesses à droite. La carrosserie en résine Polyester et fibre de verre, très allongée, se distingue par ses radiateurs d’eau installés sur les côtés, ce qui permet d’améliorer l’aérodynamique du capot avant qui comprend de larges optiques de phares carénés. La suspension est à roues indépendantes avec triangles superposés, bras transversaux et biellettes de poussée associés à des combinés ressort-amortisseur Koni. Le freinage est assuré par des disques ventilés type ATE-Teves logés dans les roues en magnésium.

Sur cet éclaté technique de l’A 220 de 1968, on peut voir la structure tubulaire du châssis, ainsi que la disposition des radiateurs d’eau sur les côtés, devant les roues arrière.  © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

V8 remanié

Le moteur V8 Type T62 équipant l’Alpine A 220 est constitué de deux blocs de quatre cylindres de 1 500 cm3 accolés selon un angle de 90°. Le bloc est en fonte tandis que les culasses hémisphériques sont en aluminium, avec un angle des soupapes de 60°. La distribution par une chaîne actionne un double arbre à cames par banc de cylindres. Ce moteur très léger (140 kg sans les accessoires) possède un vilebrequin à cinq paliers. Sa lubrification est à carter sec et son refroidissement se fait par eau. Sur la version montée dans la A 220 de 1968 l’alésage a été réduit de 2 mm (85 mm) et la course allongée de 3 mm (66 mm) pour une cylindrée inchangée de 2 995 cm3. L’alimentation est assurée par quatre carburateurs double corps verticaux Weber 46 DCOE et l’allumage (double) par des distributeurs Magnetti-Marelli. La puissance annoncée est de 310 ch à 7 500 tr/min pour un couple maxi de 35 mkg à 5 800 tr/min. La transmission ZF type 5DS25 à 5 rapports, longitudinale, est accolée à un embrayage monodisque à sec Borg & Beck.

Aux 24 Heures du Mans, les Alpine A 220 se distinguent par une couleur spécifique à l’avant et sur les flancs de la voiture, comme ici l’orange arboré par celle de l’équipage Grandsire-Andruet en 1969.  © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R.

La version de 1969

Après une saison 1968 mitigée, l’Alpine A 220 reçoit plusieurs modifications et prend l’appellation A 220-B. La plus importante consiste en un report des radiateurs à l’extrémité arrière de la voiture. Mais avec cette position en porte-à-faux, l’ensemble moteur-transmission n’est pas suffisamment refroidi, ce qui provoquera plusieurs casses moteur par surchauffe. En dehors de l’adaptation de la carrosserie à ce nouveau positionnement, le châssis reste identique, si ce n’est l’adoption d’amortisseurs De Carbon et de freins  Girling (32 mm de diamètre). La première version A 220 de 1968 a été construite à quatre exemplaires (N° 1730 à 1733). Puis, à partir de l’année suivante, cinq autres châssis A 220-B sont produits, regroupant les versions intermédiaires A 220/221 (N° 1734 et 1735), et A 222 (châssis N° 1736 à 1738). Cependant, l’ensemble de ces voitures est généralement regroupé sous l’appellation A 220, tant il existait des différences de caractéristiques d’un châssis à un autre en fonction des modifications apportées régulièrement. Parallèlement, Gordini réfléchira à une version à 32 soupapes et à injection mécanique du V8, mais ce dernier restera à l’état de projet, faute de temps. Dans sa configuration de 1969, le bloc Gordini développe 315 ch à 7 500 tr/min et le poids à vide de la voiture est désormais de 755 kg.  

Pour aller plus loin...

Une version raccourcie

Après plusieurs engagements en endurance en 1968 et 1969, le châssis A 220 N° 1731 va connaître une seconde vie unique pour ce modèle. Le pilote Jean-Pierre Jabouille parvient en effet à convaincre l'écurie Alpine de l'aligner en Rallye. Pour ce faire, le long capot arrière adapté aux circuits est raccourci, ce qui est possible car ce châssis dispose de radiateurs latéraux, tandis que l'avant est modifié et que l'habitacle reçoit un second siège pour le copilote. Le 27 juillet 1969, elle termine 3e à la Course de Côte de Chamrousse pilotée par Jean Vinatier. Ce dernier l'engage ensuite à Nogaro le 17 août (abandon) puis la A220 courte est alignée pour la dernière fois au Critérium des Cévennes en novembre suivant pour l'équipage Jabouille-Guénard qui abandonnent.

Sur cette vue plongeante de l'A 220 de 1968, on distingue le volet aérodynamique ajouré installé entre les ailerons arrière, destiné à améliorer la stabilité de la voiture à haute vitesse. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

Exploit aux 1000 Km de Paris 1968

La huitième édition de cette épreuve hors championnat se dispute le 13 octobre 1968 sur le circuit de Linas-Montlhéry. Quinze jours plus tôt, lors des 24 Heures du Mans, les Alpine-Renault se sont bien comportées compte tenu du très haut niveau de leurs concurrentes, avec une 8e place au classement général. Loin de figurer parmi les favorites à Montlhéry, les Alpine A 220 vont cependant créer la surprise en terminant dans les six premiers classés, juste derrière la puissante Ford GT40 et au milieu d'une armada de prototypes Porsche. Cette course sera finalement une belle occasion pour Alpine de confirmer à chaud les performances prometteuses de cette voiture. L'équipage Jean Guichet et Henry Grandsire y termine 4e , tandis que Patrick Depailler et Gérard Larrousse finissent 6e.

L'Alpine A 220 possède des lignes fines et élégantes héritées de son aînée A 210 qui poseront cependant quelques problèmes d'ordre aérodynamique. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

La fine fleur des pilotes français

L'écurie d'usine Alpine comprenait de nombreux pilotes français engagés au volant de la nouvelle Alpine A220 en 1968 et 1969. Parmi ceux-ci, il y avait des pilotes déjà expérimentés comme Jean Vinatier, Jean Guichet, Alain Serpaggi ou Mauro Bianchi. On trouvait également des sportifs venus du Rallye comme Jean-Pierre Nicolas ou Jean-Luc Thérier, ainsi que des concurrents de la Coupe R8 Gordini tels que François Lacarrau (Champion 1967) ou Christian Ethuin. Au cours de la décennie suivante, on verra certains de ces noms se hisser au plus niveau de la compétition internationale : Patrick Depailler, Jean-Pierre Jabouille, Gérard Larrousse, Bob Wollek, Jean-Claude Andruet. Et même l'une des plus belles plumes de la presse automobile française, José Rosinski, le cofondateur du magazine "Sport Auto"...

Ce profil de l'Alpine A 220 de 1968 permet de voir la disposition longitudinale et centrale arrière du moteur et de la boîte de vitesses. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

L'Alpine A 220 au Mans

Lors des éditions de 1968 et 1969 des 24 Heures du Mans, pas moins de huit Alpine A 220 ont été engagées, dont deux par l'écurie privée Savin-Calberson, les autres appartenant à la Société Automobiles Alpine basée à Dieppe. Les voitures se distinguaient de loin grâce à un habillage de la carrosserie avec des couleurs différentes. En 1968, trois voitures abandonnent et seule la voiture d'usine N° 30 (châssis N° 1734) pilotée par André de Cortanze et Jean Vinatier parvient à l'arrivée, à la 8e place. L'année suivante, l'échec sera cuisant puisqu'aucune des quatre voitures alignées ne termine la course, toutes victimes d'une casse du moteur. Alpine ne reviendra officiellement dans la Sarthe qu'en 1972 avec le soutien de Renault, par le biais du Championnat d'Europe 2 Litres.

Les bulles de phares profilées de l'A220 (ici celle de Depailler et Jabouille au 24 H du Mans 1969) sont encadrées par des petits becquets latéraux offrant un meilleur appui à l'avant. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

Marcel Hubert

Avec les ingénieurs André de Cortanze et Richard Bouleau, Marcel Hubert est l’une des figures incontournables liées à la création du châssis A 220. Né le 30 mai 1923 à Montgeron (Essonne), il est diplômé du Conservatoire des Arts et Métiers. Il débute sa carrière en 1946 en tant qu’ingénieur aérodynamicien au Bureau d’Études Scientifiques et Techniques. Puis tout en travaillant chez le préparateur Mignotet, il devient consultant pour Alpine en 1962 et est intégré à l’entreprise en 1967. Il participe à la création de tous les châssis des prototypes Alpine-Renault de 1963 (M 63) à 1969 (A 220), puis Renault-Alpine de 1973 (A 440) à 1978 (A 443), dont l’A 442/B victorieuse aux 24 Heures du Mans en 1978. Il est décédé le 5 mars 2015 à Dieppe.

Alpine-Renault A 220 (1968)

• Moteur : Type Gordini T62, 8 cylindres en V, longitudinal central arrière

• Cylindrée : 2 995 cm3

• Alésage x course : 85 mm x 66 mm

• Puissance : 310 ch à 7 500 t/mn

• Alimentation : 4 carburateurs double corps horizontaux Weber

• Allumage : bobine et distributeurs Marelli

• Distribution : double arbre à cames en tête par banc, 2 soupapes par cylindre

• Transmission : Type ZF, aux roues arrière, 5 rapports + M.A.

• Pneumatiques : Michelin, 23 x 15 (AV) et 29 x 15 (AR)

• Freins : disques ventilés ATE (Avant et arrière)

• Longueur : 464 cm

• Largeur : 169 cm

• Hauteur : 99 cm

• Empattement : 230 cm

• Voie avant : 134,4 cm

• Voie arrière : 134,4 cm

• Poids (à vide) : 705 kg

• Vitesse maximale : 320 km/h

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