Berlinette préparation « terre »

Réédition partielle de la collection Alpine Renault  - Construisez l’Alpine A110 1600S Berlinette

Spécial tout-terrain

Imbattables en rallyes traditionnels, les A110 ont aussi fait parler la poudre grâce à une préparation spéciale dans les rallyes sur terre, une surface où elles étaient pourtant désavantagées.

Les méchantes routes de terre du sud de l’Europe, la boue anglaise du RAC ou, pire encore, les pistes africaines ne semblaient pas destinées à devenir le terrain de jeu des A110. On comprenait au premier coup d’oeil que ces petites voitures pouvaient être efficaces sur un bon revêtement et même sur glace mais, comme elles étaient très basses, on estimait que la moindre bosse les handicaperait, d’autant que les boîtes de vitesses, comme certaines pièces de transmission, n’étaient pas toujours très fiables. 

La Renault 17 (ici au Rallye du Maroc 1974) n’a jamais pu supplanter l’Alpine, même dans les rallyes sur terre. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault Communication / D.R.

Sans compter leur moteur arrière, qui ne pouvait manquer de s’essouffler en raison de la poussière que soulevaient les roues, alors qu’une prise d’air derrière la calandre suffisait à mettre à l’abri de ce genre de désagrément les voitures au moteur placé devant. 

Oui, mais L’Alpine avait plus d’un tour dans son sac et grâce à une préparation et à une assistance sans faille la Berlinette a pu briller aussi bien sur terre que sur asphalte. 

Jean-Luc Thérier et l’A110 au Rallye de l’Acropole en 1971, dans une Grèce où les routes terre-pierre étaient encore très courantes. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault Communication / D.R.

GAGNER SUR TOUS LES TERRAINS 

Tant dans le Championnat de France des rallyes qu’à l’échelle internationale – Championnat Italie), mais aussi en Grande-Bretagne sur des routes forestières souvent humides (Rallye du Royal Automobile Club), en Autriche et en Afrique (Maroc, East African Safari au Kenya, etc.). Il était important pour Alpine de gagner sur tous les terrains. Après une montée en puissance en France au début des années 1960, les Alpine étaient devenues à la fin de la décennie les voitures à battre. Au début des années 1970, l’A110 1600 S arrivant à maturité, Jean Rédélé se sentait prêt à s’engager dans les épreuves sur terre.

Pour autant, il fallait envisager une grosse préparation spécifique pour renforcer le châssis et protéger les organes vitaux de la voiture ; pour cela, il était inévitable d’alourdir la Berlinette, au risque de lui faire perdre l’un de ses atouts majeurs : l’agilité.

Certains organes étaient intrinsèquement fragiles, comme les boîtes de vitesses, les arbres de transmission ou les porte-moyeux, d’autres encore, même renforcés, exigeaient qu’on les change souvent, pendant le rallye lui-même. Une équipe de mécaniciens rompus à cet exercice, travaillant vite dans des conditions précaires, était indispensable.

Gerbes d’eau soulevées par l’A110 de Thérier au Maroc en 1973 : quand la poussière est remplacée par l’eau ! © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault Communication / D.R.

PROGRAMME D’ESSAIS 

Pour bien faire les choses, Jean Rédélé enclenche un programme d’essais intensifs sur terrains difficiles dès l’année 1970. C’est principalement sur des terrains militaires anglais que ces essais se déroulent :ils consistent tout bonnement à rouler à fond jusqu’à ce qu’une pièce casse ou qu’une faiblesse apparaisse. Celle-ci est alors renforcée ou protégée, et l’on recommence... jusqu’à la prochaine faiblesse avérée. Ainsi de suite, pendant une longue période de mise à l’épreuve des mécaniques. Mais rien ne remplace l’expérience de la course et, en plus de ces tests, les premières épreuves tiennent lieu de bancs d’essai, tant pour les voitures que pour l’habileté de l’équipe. 

Chaque rallye sur terre possède ses spécificités : poussière avec de grandes glissades, boue qui colle à la carrosserie et se dépose dans les rainures des pneus, ornières qui demandent des suspensions adaptées, pierres qui giclent et imposent des blindages importants... En quelques mois, Alpine apprend à préparer des voitures en fonction de chaque configuration. Pour le Rallye du Maroc, par exemple, avec ses pistes au mauvais revêtement, le blindage est particulièrement épaissi sous la voiture pour contrer les projections. Un bon connaisseur des rallyes, Marcel Callewaert, souvent coéquipier de Jean-Luc Thérier, prend progressivement en charge l’organisation de l’équipe sur place. C’est lui qui détermine quelles pièces il faut surveiller, et lesquelles changer. 

Darniche/Mahé en 1973 au Portugal, autre rallye célèbre pour ses parcours sur routes de terre.  © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault Communication / D.R.

DES ALPINE BLINDÉES 

Pour la préparation générale spécifique des rallyes sur terre, le problème de la filtration de l’air est crucial ; or, il est difficile d’acheminer un manchon d’air entre l’avant et l’arrière de la voiture. On opte pour une méthode différente : un filtre dans l’aile arrière et une admission d’air à l’intérieur de l’habitacle. C’est là que l’air est le moins poussiéreux ; en revanche, le sifflement occasionné constitue une gêne supplémentaire pour le pilote et son passager ! Quant à l’architecture générale de l’A110, elle ne change pas : la poutre centrale du châssis est conservée. Toutefois, des tubes de plus fort diamètre viennent composer le berceau arrière qui supporte le moteur. L’avant est renforcé. Différents types de blindages – le plus souvent en polyester recouvert d’une tôle d’aluminium, mais parfois uniquement en métal – sont utilisés. Par exemple, celui en aluminium utilisé au Rallye de Monte-Carlo s’est avéré trop faible en Grèce, où des cailloux le défonçaient. Le groupe motopropulseur, lui, est protégé par plusieurs solides carénages inférieurs en fer. D’autres pièces spécifiques sont renforcées : porte-moyeux, triangles de suspension, tirants de direction et de support moteur, etc. L’évolution de la préparation « terre » continue ainsi jusqu’au titre mondial de 1973. Elle se poursuivra même après. En parallèle, l’équipe redouble d’efforts pour pouvoir changer en un temps record les pièces à la fragilité connue. Certaines, comme les fusées de transmission, sont même remplacées avant la casse, par précaution. 

VICTOIRES EN NOMBRE 

Les Alpine officielles, mais aussi les équipages privés, ont ainsi été préparées pour participer entre 1971 et 1975 aux différents rendez-vous sur terre du calendrier. Au RAC, au Rallye Olympia en Allemagne, en Irlande, au Maroc, au Portugal, en Grèce et même en Égypte, les Alpine ont brillé, contre l’avis de nombreux spécialistes qui, se fondant sur leurs défauts « naturels », n’auraient pas donné cher de leur peau. 

Les multiples victoires qu’elle y a engrangées ont démontré que la Berlinette pouvait être aussi efficace sur terre que dans un rallye traditionnel. La plus éclatante réussite est certainement le doublé gagnant au Rallye du Maroc (1973 avec Darniche et 1974 avec Nicolas). Pour l’East African Safari, surnommé « Le rallye le plus dur du monde », c’est un peu plus décevant : une simple place d’honneur pour l’A110 de Bob Neyret, en 1975. 

Pour aller plus loin...

JEAN-CLAUDE ANDRUET 

Andruet est l’un des pilotes clés de l’écurie officielle Alpine en rallye. 

Au début des années 1970, les Alpine sont les voitures à battre en rallye, et l’équipe est si soudée que l’on surnomme leurs pilotes officiels les mousquetaires : Thérier, Nicolas, Vinatier, Todt, Darniche, ainsi que Jean-Claude Andruet. Tous sont vus dans les paddocks avec une pointe d’envie, non seulement parce qu’ils pilotent l’une des meilleures voitures qui soient, mais aussi parce qu’ils forment une famille. De cette famille, Andruet fait partie. Il s’agit d’un pilote très doué, auquel sa sensibilité légendaire va causer quelque tracas. 

Tout bascule avant ses 25 ans. À la suite de rencontres fortuites, il décide d’entrer dans une école de pilotage sur circuit, une expérience qui lui plaît. Le problème, c’est que la compétition coûte cher ! Heureusement, un coup de pouce du destin va lui paver la voie : l’un de ses clients lui prête sa R8 Gordini flambant neuve – nous sommes en 1964 et la Renault vient de sortir – pour une course de côte locale, où Andruet fait mieux que se défendre parmi les pointures régionales. Il achète alors une « Gorde » à crédit et, à la fin de la saison, le voilà Champion de France des jeunes pilotes.

Au rallye du Nord 1970, Andruet accroupi discute avec Thérier en attendant un contrôle horaire.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault Communication / D.R.

Coupe R8 Gordini à Reims en 1966 : Andruet mène la danse devant Bernard Ficot. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault Communication / D.R.

Monte-Carlo 1973

L’un des plus beaux faits d’armes de Jean-Claude Andruet a été sa prestation lors du Rallye de Monte-Carlo en 1973 : au volant de la nouvelle Berlinette à moteur 1800, il est largement en tête lorsqu’une crevaison le pénalise de trois minutes, un handicap insurmontable à ce niveau de compétition. Vient alors la dernière épreuve spéciale, de nuit, dans le col du Turini. La cause semble entendue : Andersson et son coéquipier Jean Todt, sur une autre Alpine offi cielle, en tête, ne peuvent plus être rejoints. Il faudrait qu’Andruet fasse claquer un temps quasiment impossible à réaliser, même de jour, pour les rattraper ! Mais cette crevaison a mis la rage au ventre d’Andruet. Rien n’est impossible ! Il colle plus d’une minute à Andersson dans cette seule spéciale et termine le rallye vainqueur avec plus de 30 secondes d’avance !

 © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault Communication / D.R.

DE RENAULT À  ALPINE

Un sponsor le remarque et lui prête une R8 Gordini pour la saison 1966 de la Coupe Gordini. Ce jeune pilote qui débarque d’on ne sait où se retrouve régulièrement aux avant-postes. Souvent, il dame le pion aux pilotes déjà célèbres, à tel point qu’il est accusé de tricherie, de rouler avec moteur gonflé. Sa sensibilité exacerbée ne l’aide pas dans cette épreuve et il accuse le coup. Il est alors sur le point de tout laisser tomber mais ses amis le soutiennent et il termine la saison avec d’excellents résultats, dont plusieurs victoires. En 1967 arrive le temps des rencontres internationales : toujours avec une Gordini, Andruet s’engage au mythique Rallye de Monte-Carlo, où il vient chatouiller les ténors du rallye, Makinen en tête, avant de devoir abandonner. Mais il est remarqué : plusieurs constructeurs s’intéressent à lui… Il signe finalement un contrat avec Alpine ; après tout, venant de la Renault 8 Gordini, il y a une certaine logique à cela. Les victoires de classes dans différents rallyes s’enchaînent alors, au volant d’une Berlinette pratiquement d’origine, ainsi que quelques résultats sur circuit car le pilote reste très polyvalent, pratiquement aussi à l’aise sur circuit qu’en rallye. En 1968, Andruet devient Champion de France des rallyes avec sept victoires, dont une, difficile, au Tour de Corse. Il assoit ainsi sa réputation chez Alpine, d’autant qu’il emporte encore, associé à Jean-Pierre Nicolas, une victoire de classe aux 24 Heures du Mans.

DANS LA COUR DES GRANDS

Après quelques années de doute, en 1972, Andruet se recentre sur les rallyes et tout va mieux ; Alpine lui fait toujours confiance, il enchaîne les victoires – dont le Tour de France en « extra » dans une Ferrari Daytona. 

L’année 1973 sera grande pour Andruet comme pour Alpine, mais ce sera aussi la dernière. Après une tonitruante victoire au Monte-Carlo, le pilote se laisse tenter par une proposition de Lancia. Il passe ensuite chez Fiat en 1977, puis chez Ferrari en 1981, enchaînant pendant toutes ces années les places d’honneur avec, en parallèle, des participations aux 24 Heures du Mans. La période italienne s’achève en 1985. Andruet a 40 ans passés et il pense à sa reconversion. 

Si Jean-Claude Andruet a couru pour tous ces constructeurs, c’est Alpine qui l’a le plus marqué. Entre ses débuts en R8 Gordini et le gros de sa carrière couru sur A110, il aura connu les principales évolutions des Berlinette, passant de la 1100 à la 1800, expérimentant le moteur turbo, participant au développement de la belle voiture bleue. Dans les années 2000, on le retrouve encore au volant de l’A110 à l’occasion de rétrospectives comme le Tour de Corse historique, épreuve qu’il a gagnée trois fois pendant sa période active, et à laquelle il est revenu avec plaisir au volant d’une Berlinette, accompagné de sa coéquipière favorite, Michèle Petit, mieux connue sous le surnom de « Biche ».

Monte-Carlo 1973 ! L’année faste pour Andruet que l’on voit ici négocier une épingle sur un revêtement incertain. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

En Rallycross aussi

Contrairement au rallye, le rallycross se déroule sur un circuit fermé, composé d’une partie de terre et d’une partie d’asphalte qui s’enchaînent, avec prédominance de la terre. S’il n’y a pas a priori de grosses ornières et de pierres sur le parcours, des bosses sont tout de même aménagées qui soumettent les suspensions à rude épreuve, sur lesquelles les voitures peuvent décoller. De plus, le problème de la poussière sur la partie terre est le même qu’en rallye traditionnel. Né en Angleterre dans les années 1960, le genre a traversé la Manche en 1976, l’année où la première compétition a été organisée en France pour un championnat enlevé par l’Alpine A310 de Ragnotti. 

Dès la fin de la décennie précédente, toutefois, des Britanniques avaient choisi l’A110 pour leurs rallycross et elle s’est forgée là-bas un solide palmarès, dans cette discipline aussi. La préparation des voitures était alors largement inspirée de celle des Alpine de rallyes sur terre.

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