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La technique Alpine
La technique Alpine
simple et efficace
Souvent imitée, jamais égalée ! La redoutable efficacité de l’Alpine A110, et de celles qui lui ont succédé, tient sans doute à un parfait dosage de puissance, de légèreté et d’audace.
En 1953, Jean Rédélé est encore au volant ; il mène ici l’une des premières Alpine, sur base de Renault 4 CV, lors du Rallye de Dieppe, sur ses propres terres en Normandie, entre bottes de paille et palissades. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R.
Une solution couramment employée à l’époque est le treillis tubulaire recouvert d’une fine peau en aluminium, voire en polyester ; c’est le cas pour des monoplaces de Formule 1, ou pour des sportives très haut de gamme comme la Mercedes 300 SL.
Le problème, c’est qu’une telle technique est hors de prix ; ce qui n’en n’est pas un pour les monstres où la notion de prix de revient n’a que peu d’importance, mais il en va tout autrement pour les petites Alpine, dont la valeur doit rester contenue si elles veulent trouver un débouché commercial.
Il n’empêche, la plateforme Renault est très lourde, c’est bien là que l’on peut gagner du poids. Rédélé imagine alors une poutre centrale de fort diamètre à laquelle est soudé à chaque extrémité un tube perpendiculaire d’un diamètre un peu inférieur, tubes sur lesquels viendront se greffer tous les accessoires principaux : systèmes de freinage, de suspension, de direction, sans oublier bien sûr le moteur à l’arrière. En fait, les cotes générales de ce châssis reprennent grosso modo celles de la 4 CV, mais le résultat est éloquent : une rigidité jamais prise en défaut et une bonne centaine de kilos gagnés !
Ce n’est qu’après de nombreux essais et modifications que la version définitive a pu être mise au point, mais une fois le bon équilibre des masses trouvé, le système deviendra la marque de fabrique d’Alpine, au point d’en équiper tous les modèles vendus jusqu’à la fin de la commercialisation des dernières A610 dans les années 90.
La coque de l’Alpine A110 en 1968 : sortie du moule, elle se compose ainsi d’un seul bloc en polyester, sur lequel viendront se fixer les portes et les capots avant et arrière. La coque elle-même sera fixée au châssis-poutre noyé dans le polyester. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R.
Carrosserie polyester
Le « squelette » de l’A110 est donc né, mais il reste encore à l’habiller. Pour « fermer » la voiture et augmenter encore la rigidité au passage, la poutre centrale est noyée dans le polyester, et l’ensemble fournit le plancher de la voiture. La carrosserie est en polyester également. Elle vient d’un seul bloc depuis un moule, les deux parties étant ensuite assemblées. L’étanchéité, entre plancher et carrosserie d’une part, entre portes, capots et habitacle de l’autre, sera d’ailleurs l’un des points faibles récurrents de la Berlinette.
Petite astuce – mais on dit qu’il n’y a pas de petits profits –, la poutre centrale faite d’un tube creux est opportunément utilisée pour laisser passer la tringlerie de la boîte de vitesses, ainsi bien protégée. Sur les premières générations d’A110, le radiateur de refroidissement du moteur se trouve à l’arrière, mais à partir de 1970 il va émigrer à l’avant ; c’est encore une fois la poutre centrale qui sera utilisée pour le passage des tuyaux d’eau. On aurait pu penser que le faisceau électrique utiliserait lui aussi ce canal mais ce n’est pas le cas, et, d’ailleurs, mal protégé, il vieillira prématurément. Un problème connu de ceux qui ont déjà restauré une Alpine.
Vue de l’intérieur de l’usine Alpine à Dieppe, en 1970. Les Alpine Berlinette sortent de la chaîne de montage. Au premier plan, une A110 bleue suivie d’une jaune, encore une bleue, puis une rouge, et voici qu’une blanche apparaît sur la droite. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R.
Les emprunts à la R8
C’est l’apparition de la R8 chez Renault qui a permis la naissance de la Berlinette A110, alors que jusque-là les Alpine utilisaient des éléments de 4 CV ou de Dauphine. C’est aussi l’essentiel des pièces et accessoires de la nouvelle Renault qui seront empruntés, ce qui permet indéniablement à l’Alpine de faire un bond dans la modernité. Le moteur quatre-cylindres, quoique toujours « culbuté » (et non pas à arbre à cames en tête), est à présent un « cinq paliers » : le vilebrequin, pièce essentielle du moteur, repose dans le carter sur cinq paliers – un entre chaque cylindre – et non plus trois, ce qui le rigidifie et autorise des régimes de rotation supérieurs, favorables à la puissance. Côté châssis, on note l’apparition de freins à disques sur les quatre roues, une première à l’époque pour une voiture de grande série, ce qui va doter la légère Alpine d’un freinage dont elle ne rougit pas aujourd’hui encore. Ces deux caractéristiques essentielles de la R8 permettent à l’Alpine de progresser, mais par ailleurs la disposition des éléments ne change pas entre les deux voitures : moteur en porte-à-faux arrière, boîte de vitesses et train arrière sont placés de la même manière, tout comme la suspension à quatre roues indépendantes, avec triangles et ressorts traditionnels à l’avant, et essieu oscillant à l’arrière, tandis qu’un amortisseur télescopique de marque Allinquant est disposé sur chaque roue.
Plus assurément que sa tenue de route, c’est bien sa vivacité qui a fait de l’Alpine la reine des rallyes ; c’est son aptitude à « partir en travers » qui a permis à des virtuoses équilibristes de la trempe de Jean-Claude Andruet, Bernard Darniche, Jean-Pierre Nicolas et Jean-Luc Thérier, les quatre pilotes officiels choisis par Renault après que la firme au losange eut repris Alpine en 1973, de gagner autant de compétitions. Jean Rédélé avait expliqué en son temps que, contrairement à ce que l’on pense intuitivement, ce n’est pas la qualité du train arrière mais celle du train avant qui est la clé de l’homogénéité de l’Alpine. Pour les modèles « usine », Rédélé avait donc imaginé, à l’avant, un complexe système de tirants reliant la traverse perpendiculaire fixée à la poutre centrale du châssis, en particulier pour stabiliser la voiture lors des freinages très appuyés. Ces modifications ont été également apportées, à la demande, pour certaines voitures « client ».
Nous sommes en 1973, avec une vue spectaculaire de l’A110 de Jean-Pierre Nicolas dans ses œuvres sur la neige du Rallye Monte-Carlo. Les meilleurs pilotes étaient capables de contrôler les longues glissades de l’Alpine. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault / D.R.
Évolution
Née pour le millésime 1963 avec le petit moteur 1 000 cm3 de la R8, l’A110 va grandir en même temps que les Renault de production : elle dispose de 55 ch avec ce moteur, puis 66 avec le moteur 1 100 de la « Major » en 1964, 85 ch l’année suivante grâce à une culasse travaillée et l’adoption de deux carburateurs double-corps, et même 95 avec la version Compétition revue par Gordini, elle aussi au catalogue. À noter, cette version préparée est véritablement équipée pour la compétition, avec suspension spéciale, radiateur supplémentaire, boîte de vitesses à cinq rapports.
Les différentes versions 1 300 cm3, entre 1966 et 1976, auront une puissance variant de 81 à 120 ch, en fonction de l’origine du moteur (R8 Gordini ou R12) et surtout de la préparation supplémentaire effectuée spécifiquement pour les Alpine. Même chose pour les 1600 (la rare 1500 mise à part), qui, en fonction de leur origine, R16 TS ou TX, ou R17 TS, vont, de 1969 à 1977, et selon leur degré de préparation, développer entre 92 et 140 ch.
Au total, l’Alpine A110 se caractérise par une économie de moyens techniques qui n’a pas nui à son efficacité. Ses composants issus de la grande série ont permis de contenir les coûts ; sans technologie sophistiquée, sans châssis tubulaire ou moteur à simple ou double arbre à cames en tête, la petite Alpine a su dominer ses concurrentes en rallyes, et séduire une clientèle non négligeable : près de 75 000 exemplaires de Berlinette sont sortis de la petite usine de Dieppe, une production modeste si l’on garde en tête les chiffres de la grande industrie, mais qui prend tout son sens lorsque l’on tient compte du caractère artisanal de la firme Alpine.
Pour aller plus loin...
Patrick Depailler chez Alpine
On se souvient de Patrick Depailler en Formule 1 dans l’équipe Tyrrell, Ligier ou Alfa Romeo. Ce que l’on sait moins, c’est que la première écurie dans laquelle il a été engagé… c’était Alpine ! Au milieu des années 60, Jean Rédélé prend conscience de la nécessité de disposer d’un pilote bourré de talent, certes, mais suffisamment jeune pour que ses prétentions financières ne soient pas encore démesurées. C’est un peu plus tard que Patrick Depailler entre en jeu… D’abord remarqué à moto en 1963, comme son copain Jean-Pierre Beltoise, Patrick Depailler s’était tourné en 1964 vers l’Opération Ford Jeunesse avec une Lotus Seven, sans toutefois délaisser la moto. En 1966, il s’était inscrit au Volant Shell et avait obtenu une deuxième place en finale, derrière Cevert, sous la pluie du circuit de Magny-Cours ; Jean Rédélé était présent, Shell lui apportant un budget publicitaire conséquent. Le patron de Dieppe avait observé les deux hommes, pour les intégrer un peu plus tard à son écurie de F3 (voir encadré). Depailler sera « mécanicien-pilote » et aligné en rallyes avec une A110 1300, en prototypes avec l’A210 ou en F3 avec l’A270 ou l’A280. À partir de 1968, les monoplaces F3 deviennent les A330, que Depailler utilisera.
Patrick Depailler (à gauche) et Jacques Laffite, deuxièmes aux 24 Heures du Mans 1977 avec l’A442. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections
L’Auvergnat
Né à Clermont-Ferrand le 9 août 1944, Patrick Depailler grandit dans un milieu aisé. Tout gamin, son idole est Jean Behra, qu’il a suivi sur le circuit de Charade tout proche de son domicile. Pour faire comme lui, il trafique un Solex avec lequel il arpente les routes tortueuses du « circuit » en se prenant pour un champion. Comme Behra et son copain Jean-Pierre Beltoise, il commence la compétition sur une moto : d’abord un 50 cm 3 Benelli qu’un magasin lui prête en 1963, puis une 500 Norton, elle aussi prêtée. Il se fait remarquer par son pilotage efficace qui lui permet de gommer les défauts de ces motos peu affûtées.
En 1964, il décide de s’engager dans l’opération Ford Jeunesse, bien qu’il n’ait pu commencer qu’en cours de saison en raison de son service militaire. Il remporte la course de Chamrousse et surtout celle de Montlhéry devant des pilotes bientôt célèbres : Dayan, Mieusset, Pescarolo, Servoz-Gavin… Il allait se ranger de la moto, mais un mécène lui propose alors le guidon d’une 350 et d’une 500 Norton Manx, de véritables machines de compétition. Cerise sur le gâteau, Jean-Pierre Beltoise lui prête une 175 et une 250 Bultaco bien préparées. Les succès sont au rendez-vous, mais une certitude ne le quitte pas : la moto ne rapporte pas assez. Il peut à peine joindre les deux bouts, malgré l’aide financière de ses parents.
En 1967, il partageait le volant de cette A210 avec Gérard Larrousse dans la Sarthe (abandon). © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections
Depailler et l’endurance
Sa première course pour Alpine a lieu pour le Grand-Prix de Pau en 1967. Elle se solde par une casse mécanique dans le premier tour. Il se fait pourtant remarquer à Charade où il mène, devant tous les ténors, avant qu’un fil de bobine ne le lâche. Toute cette saison de monoplace est d’ailleurs une suite de ce genre de déconvenues causées par un manque de fiabilité. Mais Patrick n’en reste pas là : après avoir appris le métier de mécanicien, il découvre la piste des rallyes et les spécificités de l’endurance. En rallyes, on le voit au volant d’A110, R12 Gordini ou R5 diverses : il remporte tout de même le Tour de France Auto en 1970 (sur une Matra 650), mais n’avait disputé que les deux premières étapes pour être ensuite remplacé par Beltoise ! Son parcours en endurance est plus fourni : 24 Heures du Mans, 12 Heures de Reims, 500 km du Nürburgring, 1 000 km de Paris, 1 000 km de Monza, 9 Heures de Kyalami… Au Mans, la malchance le poursuit, avec chaque fois un abandon : en 1967 avec Larrousse (A210), en 1968 avec Mauro Bianchi (A220 V8), en 1969 avec Jabouille (A220/69 V8), et même, après que Renault a repris les rênes d’Alpine, avec Laffite en 1977 (A442) ou bien encore 1978, l’année de la victoire de l’Alpine-Renault !
Lors des vérifications techniques au Mans en 1977, Depailler est tout sourire, conscient d’avoir une voiture pour gagner. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections
Depailler et la monoplace
C’est en monoplace que Patrick Depailler fut au sommet de son art. Lors de sa première saison, en 1968, il demande que le châssis de sa F3 soit monté à ses mesures pour combler le handicap de la puissance du moteur. La voiture est raccourcie, avec des tubes de rigidification qui passent au-dessus des épaules du pilote ; plus gros ou plus grand, il n’aurait pas pu entrer ! Cette saison 1968 est décevante. En 1969, Jabouille est embauché. Les deux compères vont former une bonne équipe. L’année 1970 est une année de transition (préparation de la nouvelle F3 1 600 cm3) ; il se tourne alors vers Matra ou Pygmée. Enfin, 1971 est l’année du sacre avec un titre de Champion de France de F3 sur Alpine. Il signe même une victoire au Rallye du Forez avec une Berlinette, et il devient pilote officiel Tecno pour la F2. Avec son titre F3 en poche et une victoire au GP de Monaco, il peut accéder à la Formule 1 dès 1972 en qualité de troisième pilote dans l’équipe de Ken Tyrrell. En 1974, il est Champion d’Europe de F2. Il passe chez Ligier mais se casse les deux jambes en 1979 dans un accident de delta-plane. Alfa Romeo l’appelle en 1980, et c’est lors d’essais privés sur le circuit d’Hockenheim qu’il sort violemment de la piste, le 1er août 1980. Il est tué sur le coup. Il aura disputé 95 GP de F1 et remporté deux victoires : en 1978 à Monaco (Tyrrell 008) et en 1979 à Jarama (Ligier JS11).
Avec Jabouille, vainqueur l’année précédente au Mans, il devra abandonner en 1978 au volant de la nouvelle A443. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections
La dernière A110 est une Espagnole
La filiale espagnole de Renault, « Fasa-Renault », a monté des Berlinette à partir de 1967 : d’abord avec le moteur 1 108 cm3 de la R8 Major, puis avec le 1 289 de la R12 à partir de 1971, enfin avec le 1 397 de la R5 Alpine, de 1977 jusqu’au milieu de l’année 1978, c’est-à-dire un an plus tard qu’en France. Cette dernière A110 espagnole est aussi la seule commercialisée à utiliser le moteur de la R5 Alpine. Sinon, les différences entre les Berlinette françaises et espagnoles sont subtiles, et ne portent que sur des détails, par exemple les pare-chocs.