L’ALPINE GT4

Rédaction : Albert Lallement  

Un modèle sportif à 4 places

La marque Alpine s’est indiscutablement forgée une image sportive. Pourtant, dès le début des années 1960, la marque de Dieppe propose un modèle quatre places, sans toutefois renier sa filiation.

Alors qu’Alpine est spécialisée dans les voitures de sport, l’A106 à mécanique 4 CV, puis l’A108 au moteur issu de la Dauphine et enfin l’A110 qui reprend le 4-cylindre de la R8, Jean Rédélé décide d’ajouter à sa gamme un modèle susceptible d’embarquer à peu près convenablement quatre passagers. C’est la carrosserie Chappe & Gessalin, à qui l’on doit le coach qui a donné la toute première Alpine, qui va travailler sur cette GT4. Avant cela, générale. Le lancement de la Berlinette en 1962 donne l’occasion d’en reprendre les grandes lignes afin d’élaborer un modèle moins exclusif : la GT4 est sur la rampe de lancement. 

En 1968, Alpine possède une gamme étoffée avec les Berlinette, monoplaces, protos et la GT4 que l’on voit à l’extrême droite. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Archives et Collections

Jean Rédélé est très sensible à l’harmonie générale des lignes d’une voiture, et surtout de celles qu’il produit ! La A108 2 + 2 n’était pas totalement à son goût, en raison d’une nette différence d’aspect entre l’avant courbé et plongeant et l’arrière qui ressemblait à une « grosse valise ». La nouvelle A110, en revanche, lui plaisait beaucoup, grâce à sa partie frontale qui reprend fidèlement celle de l’A108 et à sa poupe plongeant vers le sol. 

Il est donc d’accord pour partir de cette base afin de finaliser la GT4, en gardant l’avant de l’A108 intact, certainement pour que la clientèle ne confonde pas ce modèle quatre places avec la Berlinette qui doit conserver son image sportive. Ceci étant, la GT4 est bien une A110 avec son groupe motopropulseur de R8 posé sur le berceau arrière d’un châssis-poutre (qui a fait son apparition sur l’A108) rallongé de 170 mm pour arriver à 2 270 mm, longueur nécessaire pour loger la banquette arrière et laisser suffisamment de place aux passagers. Il est à noter que le millésime 1964 utilise toutefois le moteur de la Caravelle (voir encadré). La hauteur est également augmentée puisque la GT4 mesure 1 270 mm de haut contre 1 130 mm pour la Berlinette. Elle reçoit bien sûr d’autres éléments de la R8, comme sa direction, ses trains roulants ou ses quatre freins à disque de 260 mm. Jean Rédélé continue à faire ses courses chez Renault qui lui fournit les accessoires : phares et essuie-glaces de la Caravelle, pare-brise de la Floride, feux arrière de la R8 et divers accessoires venus de Billancourt.

Sous la marque Dinalpin, la GT4 fut produite à environ 120 exemplaires au Mexique. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections 

UNE « LONGUE » CARRIÈRE

La Berlinette exceptée, la GT4 est la voiture qu’Alpine aura produite pendant le plus longtemps, malgré les faibles chiffres de vente puisque seuls 263 modèles ont vu le jour. Présentée au Salon de l’Automobile de Paris fin 1962, au prix de 15 450 francs (23 000 euros 

actuels), elle ne sera retirée du catalogue qu’en 1969, soit en tout sept années-modèle. C’est le moteur 956 cm3 51 ch de la R8 qui est utilisé pour les tout premiers modèles, produits à 20 exemplaires, et siglés A108 L (pour « Longue »). Tous les modèles suivants seront des A110 L. L’année suivante, le moteur 956 est remplacé par le 1 108 cm3 gonflé à 66 ch de la Caravelle (type V70). En 1965, ce dernier est conservé, épaulé par le R8 Gordini de même cylindrée (V100) mais porté à 103 ch SAE. 

Ces deux-là sont encore présents en 1966 quand vient s’ajouter le redoutable 1 296 cm3 peaufiné par Mignotet qui, avec ses 120 ch SAE, emmène la GT4 à plus de 200 km/h. Le nouveau 1 255 cm3 Gordini 105 ch entre dans la gamme en 1967. Cette version s’appellera « Type 1300 », tandis que la Mignotet est le « 1300 Super ». Il faudra ensuite attendre 1969 pour les derniers changements : seuls le 66 ch et le 105 ch sont alors proposés. 

Ce sont bien les moteurs vendus par Renault au fil de leur apparition qui ont le plus marqué les évolutions des GT4, les derniers modèles réalisés pour Alpine dans les locaux de Chappe & Gessalin avant que Jean Rédélé lance son propre atelier de carrosserie polyester à Dieppe. On comprend mieux pourquoi le logo des carrossiers de Brie-Comte-Robert est apposé sur l’aile avant droite, tout comme leur plaque d’identification rectangulaire rivée dans le compartiment du coffre avant, à côté de celle en forme de losange d’Alpine. Ainsi, l’équipement a été très peu modifié pendant les sept années de production : le diamètre des phares est passé en 1965 de 160 mm à 180 mm, les commandes de chauffage ont migré sur la planche de bord, et les déflecteurs de portières de Floride se transforment en ceux de la Caravelle. Enfin, le losange Renault apparaît à l’avant, sous le nom Alpine écrit en toutes lettres, en 1967. Il ne s’agit donc en définitive que de différences minimes.   

La GT4 surnommée « la Sauterelle » fera une dernière apparition en course à la Targa Florio en 1967. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©   Archives et Collections

Bien qu’elle puisse embarquer  quatre passagers, la GT4 conserve une allure de sportive. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©   Archives et Collections

Pour aller plus loin...

LES DÉBUTS DE JACQUES CHEINISSE

Ancien pilote Alpine devenu directeur sportif de la marque, Jacques Cheinisse sait ce qui motive les pilotes. Il établit au sein de l’écurie officielle une atmosphère amicale propice à l’émulation et aux bons résultats en compétition. Profession : « touche à tout » chez Alpine ! Jacques Cheinisse, s’il est avant tout un directeur sportif aux idées très personnelles, a occupé une palette très éclectique de postes chez Alpine, puis chez Renault. En 1958, il entre en 1958 dans l’entreprise familiale mais il caresse pourtant un rêve : la course automobile. Il lorgne du côté d’Alpine, une jeune marque prometteuse de sa région de Normandie. 

Lors 1 000 km de Paris, à Montlhéry, en 1968, Jacques Cheinisse s’occupe de l’Alpine 3 Litres de Henri Grandsire et Jean Guichet.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©   Renault D.R. / Archives et Collections

L’ENTRÉE CHEZ ALPINE

Il semble bien qu’à cette époque le Normand n’est pas très délicat avec sa mécanique : il casse souvent, et du coup fréquente régulièrement les locaux de l’usine, où on lui remet sa voiture en état. Il rencontre ainsi Jean Rédélé, le patron de la petite entreprise. 

Les visites cessent lorsque Cheinisse décide de passer à une autre voiture, une solide Volvo suédoise… qui va casser aussi facilement que l’Alpine ! C’est Jean Rédélé qui renoue le contact pour lui proposer de s’occuper du stand Alpine de course, il peut aussi les lui faire réparer ; curieusement, il casse à partir de là beaucoup l’hital le mors aux dents… et une minerve autour du cou, et participe l’été même à une course de vitesse sur le circuit de Nogaro : une autre époque ! 

En 1966, Cheinisse porte la casquette (ou plutôt le casque) de pilote ; il est au volant de l’Alpine A210 aux 24 Heures du Mans. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

DIRECTEUR SPORTIF 

Jacques Cheinisse devient alors directeur commercial de la firme dieppoise et, sous son emprise, les ventes décollent joliment ; certes, la renommée d’Alpine s’établit sur des résultats sportifs, mais l’homme parvient à développer le réseau de distribution en France de manière très cohérente, une « cheville ouvrière » nécessaire à la vente dans tout le pays. 

C’est en 1968 qu’il se voit proposer le poste de directeur sportif. N’en a-t-il pas le profil ? Il a prouvé qu’il savait diriger et, en tant que pilote, il a la légitimité nécessaire. Le problème est qu’il est difficile d’être des deux cés de la barrière : pilote lui-même ou directeur des pilotes, il faut choisir. Il choisit alors de diriger l’écurie officielle Alpine. « L’une des décisions les plus difficiles que j’aurais eu à prendre dans ma vie », avouera-t-il bien des années plus tard. 

Jacques Cheinisse en conversation avec Jean-François Piot en 1970.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

UNE ÉQUIPE QUI GAGNE 

À cette époque, Alpine s’engage tous azimuts en compétition : rallyes bien s, mais aussi endurance – en particulier les 24 Heures du Mans – et vitesse en F2 et F3. Pour assurer une bonne cohésion au sein de l’écurie Alpine, Jacques Cheinisse s’attache les services de pilotes presque exclusivement français, avec toutefois des exceptions de choix, comme le Suédois Ove Anderson, une « pointure » des rallyes de l’époque, dont l’expérience sera déterminante en particulier sur les terrains glissants, comme la neige. Une mystérieuse alchimie permet alors que naisse une ambiance qui sera pour beaucoup dans les succès d’Alpine, et cela grâce à Cheinisse, c’est évident. C’est à cette époque que l’on parle des « mousquetaires » de la marque, ces jeunes pilotes certes talentueux, mais qui ne révelèrent toute la mesure de leur talent que grâce à cette atmosphère particulière : les Andruet, Darniche, Thérier, etc., s’épanouissent sous la coupe paternaliste – les pilotes l’appellent affectueusement « papa » – de leur chef d’écurie. Cheinisse fait passer l’esprit d’équipe par-dessus tout, à ses yeux plus importants que les exploits personnels ; par exemple, tous les gains des courses sont mis dans un pot commun et répartis également entre tous les pilotes. Ainsi, chacun a intérêt à ce que l’équipe gagne. Et l’enthousiasme de cette équipe ne cesse de croître.

Assistance lors du rallye de Monte-Carlo en 1971 : Jacques Cheinisse et Jean-Claude Andruet décident sans doute de la stratégie de course avant que la Berlinette reparte. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

La GT4 en course

En 1965, une GT4 s’aligne aux 24 Heures du Mans. C’est la M64GT, puisque son châssis a reçu la carrosserie des protos M64. Cette voiture a été construite pour être aussi à l’aise sur circuits qu’en rallyes. Pensée par Bernard Boyer, c’est Chappe & Gessalin, bien sûr, qui vont en assembler la carrosserie, et le châssis n° 5146 sera équipé à Dieppe d’un moteur de 1 108 cm3. Rapidement surnommée « la Sauterelle », la M64GT abandonne au Mans. On la retrouve 15 jours plus tard aux 12 Heures de Reims. En octobre, aux Coupes du Salon de Montlhéry, elle remporte la catégorie GT. On ne la reverra qu’en février 1967 au rallye des Routes du Nord. La Sauterelle est alors motorisée par le 1 296 cm3 et reçoit des jantes Lotus en magnésium. Elle est engagée au Rallye de l’Ouest en mars 1967, et revient un mois plus tard au Mans pour les essais préliminaires des 24 Heures. Elle finira sa carrière à la Targa Florio, en mai 1967, en raison d’une rupture de direction. Après cela, elle ne sera plus jamais utilisée en compétition officielle.

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