La situation du réseau SNCF à la Libération

Auteur :  Clive Lamming

Dans une France coupée en deux par la ligne de démarcation, seul le chemin de fer peut circuler sans solution de continuité. Un paradoxe historique et un symbole représentés par le cas de la gare d’Avricourt, entre Paris et Strasbourg, qui retrouve sa situation de gare frontière qu’elle a connue entre 1871 et 1918 !

Sur la plupart des grandes lignes ne circulent qu’un train de jour et un de nuit : très lentement, surchargés au maximum, avec jusqu’à quinze voyageurs par compartiment dans une rame qui comprend jusqu’à vingt ou même vingt-cinq voitures par train ! Le trajet de nuit de Paris à Lyon demande 12 heures par exemple avec une locomotive type 140 pour trains de marchandises, deux voitures et trente wagons de marchandises. Le livret « Chaix » de 1944 ne compte que 12 pages, et ne donne plus aucune garantie d’horaire. 

Très rare document de collectionneur, un livret horaire Chaix publié par la SNCFen octobre 1944, alors que la France est en pleine guerre avec le débarquement des Alliés en Normandie. Le service est qualifié de « provisoire » ! © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Un réseau presque entièrement détruit

Si nous regardons la carte du réseau SNCF de 1944 on découvre que, sur les trèsrares lignes encore actives, il est par exemple possible d’aller de Paris à Bordeaux, mais sans passer par Orléans dont le pont sur la Loire est coupé. Il faut alors passer par Nevers, Chagny, Lyon, Le-Teil, Nîmes, et on remonte à travers le Massif-central jusqu’à Clermont-Ferrand, puis on redescend à Limoges, Montauban, puis on remonte jusqu’à Bordeaux, soit près de 1 500 km de trajet et 24 heures de voyage… Les agents de l’exploitation sont incroyablement actifs et, tout en gênant sans cesse les mouvements des trains roulant pour l’occupant, ils accélèrent les autres, tandis que ceux de la voie reconstruisent à temps ponts et aiguillages pour les trains « utiles » passant sur des ouvrages d’art qui seront détruits de nouveau peu après.

À la veille du débarquement du 6 juin 1944, seuls l’Empire colonial français (sauf l’Indochine) et la Corse (depuis octobre 1943) sont libérés et la totalité du territoire national est libre le 8 mai 1945. À cette date précise, comme le montre la carte ci-contre, le réseau de la SNCF est pratiquement inutilisable sur de longues distances. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Une reconstruction faite derrière la progression des alliés

L’armée ennemie, les armées des alliés, les résistants : tout le monde a ses bonnes raisons pour détruire le réseau ferré français. Mais la surprise est une reconstruction d’une rapidité et d’une efficacité surprenantes.

Les difficiles années 1943 et 1944 voient une SNCF rétablissant ses lignes immédiatement derrière les progressions des troupes alliées. C’est ce qui se passe le 28 août 1944, trois jours après l’entrée des troupes du général Leclerc dans Paris : le premier train provenant de Cherbourg entre en gare de Saint-Lazare, mais, c’est vrai, en passant par Mézidon, Alençon, Le Mans, Chartres, Dreux et Maintenon. Au 1er octobre 1944, on peut se rendre de Paris à Lyon, puis Marseille, ou dans le Nord, par des itinéraires très indirects mais en service. 

En 1945, la circulation des trains n’est que de 30% par rapport à celle de 1939 et en 1948 elle est de 70% seulement. Le grand problème est le manque de locomotives : si le parc de 17 000 à 18 000 locomotives d’avant-guerre est réduit à 12 000 restées sur le sol français, à peine 3 000 passent pour réellement utilisables, et non les autres, faute de pièces, faute de temps et de lieux pour les réparer, faute d’hommes également pour opérer ses réparations.

Vision hallucinante d’un magnifique grand pont à « tablier-cage inférieur » dynamité en plusieurs points. Il est possible qu’il s’agisse des viaducs sur la Marne, en grande banlieue est de Paris. 

 © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

La très étonnante rapidité avec laquelle les cheminots de la SNCF réparent les grandes lignes du réseaunational français entre septembre et décembre 1944, soit quatre mois ! Et pensons que cela se fait avec des outils à la main, des échelles, des tas de pierres, et des cales en bois. 

 © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Locomotive légère type 140-U américaine (moins connue que les 141-R) pour trains de marchandises, débarquée à Cherbourg en 1944. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  doc. revue « Chemins de fer » AFAC.

Réparation très sommaire d’un ouvrage d’art, peut-être sur la Seine, avec des étais, des échafaudages, des poutres. Deux locomotives servent de « test ». © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

AILLEURS, À LA MÊME ÉPOQUE

La locomotive du train qui valait 10 000 000 dollars !

Ce train est le  « Twentieth Century » américain qui, à partir des dernières années 1930, possède une locomotive extraordinaire, du type 232, la « J3a », avec un carénage spectaculaire, dont la ligne cherche avant tout à affirmer l’image de marque de la compagnie. 

L’heure des designers

Peut-être le plus grand d’entre eux s’appelle Raymond Loewy. Il a tout dessiné, des automobiles Studebaker à la bouteille de Coca-Cola. Mais en face de lui, il y a un autre géant : Henry Dreyfuss, et le choix de la New-York Central Lines est en fin de compte très payant car la fameuse locomotive  J3a en forme d’obus de Dreyfuss éclipse totalement la locomotive un peu trop ronde et lourdement enveloppée de Loewy. En outre, Dreyfuss a su concevoir, par le jeu des vitres, des miroirs et des cloisons, des voitures qui semblent très spacieuses et très dégagées, faisant oublier que l’on est dans un train. C’est bien le « Twentieth Century » de Dreyfuss qui triomphe dans cette lutte. 

Magnifique et emblématique locomotive type 232, série « J3a » du réseau du New-York Central RR vue en 1940. Soncarénage est le chef d’œuvre du « designer » Henry Dreyfuss (1904-1972). © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Le train le plus luxueux « in the world »

En 1926, le « Century » rapporte 10 millions de dollars. Le parc se compose de 122 voitures et de 24 locomotives type 232 ou « Hudson ». Les trains se succèdent toute la journée, et le président de la New-York Central Lines, toujours, se fait remettre personnellement chaque jour un rapport sur le respect des horaires, les incidents, les retards, le nombre de voyageurs transportés. Le train reste donc sous les feux de la rampe, tant hiérarchique que médiatique… Leur vitesse moyenne est emblématique du  « a mile a minute », soit 96 km/h, ce qui demande des pointes à plus de 160 km/h. 

TOUTE UNE ÉPOQUE

Locomotive type 230.K, N° 249, datant de 1908. Il s’agit de la série de vitesse 103 à 280 dite « type K Est », vue ici en gare de Troyes, vers 1950. Une 141-R est visible sur la droite du cliché. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © document HM Petiet.

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