Alpine A 110 1100

Rédaction : Albert Lallement

La Berlinette entre dans l’histoire

Lancée en 1962, l’Alpine A 110 reçoit deux ans plus tard le moteur 1100 de la Renault 8 avec lequel la Berlinette va devenir le modèle emblématique de la marque.

Le lancement de cette nouvelle version s’accompagne du retrait dès la fin du millésime 1965 de l’A 108 ainsi que de la Berlinette Tour de France A 110 à moteur 956 cm3. Avec ce modèle 1100, l’Alpine A 110 commence à devenir une concurrente incontournable dans les rallyes internationaux. L’arrivée au printemps 1965 du moteur 1300 provenant également de la Renault 8 Gordini mettra un peu plus encore en évidence les qualités de conception de la Berlinette.

Avec la version 1100, la Berlinette A 110 devient une concurrente redoutable en compétition, comme ici au Trophée de Cognac de 1965 où Bruno de Villemandy termine 4e de sa catégorie. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

À partir de 1964, Jean Rédélé concentre la production Alpine sur la gamme A 110 dotée du moteur à 5 paliers provenant de la Renault 8, au détriment des premières Berlinettes à moteurs à 3 paliers issus de la Renault Dauphine. Au cours des années suivantes, il n’aura de cesse d’augmenter la puissance de cette voiture tout en gardant les caractéristiques de son châssis et de sa motorisation qui en font le succès. À cette époque, la Société des Automobiles Alpine se modernise et l’atelier d’origine situé rue Pasteur à Dieppe devient progressivement une petite usine où les Berlinettes A 110 sont construites de moins en moins artisanalement.

La carrosserie de la nouvelle Berlinette A 110 1100 se distingue par ses lignes pures et sobres qui feront son succès durant une décennie. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Le chef d’œuvre de Rédélé

Lorsque la première génération de Berlinette Tour de France A 110 voit le jour au Salon de 1962, dotée du moteur 956 cm3 de la Renault 8, Jean Rédélé possède enfin la sportive élégante et efficace dont il rêve depuis une décennie. Alors qu’un moteur 1100 est déjà annoncé, on se rappelle la prophétie d’Amédée Gordini quelques années plus tôt : «Attendez un peu, les Alpine étonneront le monde !» Et de fait, l’A 110 va dépasser ses devancières A 106 et A 108 et rester dans les mémoires comme l’aboutissement des projets du créateur d’Alpine. Les grandes lignes de cette nouvelle Berlinette s’inspirent du dessin initial de Giovanni Michelotti. Mais celui-ci sera retouché au fil des évolutions du modèle par des collaborateurs de l’usine de Dieppe, sous la houlette de Jean Rédélé et Roger Prieur. Ainsi, Philippe Charles travaillera sur la proue de la voiture et Serge Zuliani redessinera le capot arrière, devenu plus long avec l’implantation du moteur de la R8. Par ailleurs, les grilles d’aération chromées situées devant les roues arrière disparaissent au profit d’ouïes logées au-dessus des ailes arrière. Enfin, la goulotte de remplissage de carburant qui se trouvait sur le montant gauche est supprimée, ce qui permet d’affiner les montants et d’agrandir les vitres de custode. L’ensemble qui a gagné en sobriété ne bougera quasiment plus par la suite.

L’habitacle est plus sportif que luxueux... Sur la planche de bord on trouve, en partant de la gauche : le compte-tours, le compteur de vitesse, puis les témoins de température d’eau, de pression d’huile et l’ampèremètre. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Une structure révolutionnaire

La grande originalité de la Berlinette A 110 réside dans son châssis-poutre inauguré sur la précédente A 108. Ce procédé souvent copié par la concurrence d’Alpine ne permettra cependant à aucune autre marque de s’imposer aussi magistralement en course et dans le domaine des voitures sportives de série. Le principe consiste en une coque autoporteuse constituée d’une poutre centrale en tube d’acier de forte section intégrée à une cellule en Polyester armée de fibres de verre. Ainsi noyée dans la carrosserie, la poutre joue un rôle structurel et procure une grande rigidité à l’ensemble. Accessoirement, la poutre centrale permet de faire passer la tringlerie et les divers tuyaux et conduites tout en les protégeant et en les isolant. La technique du moulage en résine renforcée, quasi artisanale, n’autorise pas des cadences de production importantes, mais elle offre cependant une grande souplesse d’adaptation et de transformation. La fabrication d’une caisse de Berlinette nécessite sept moules en moyenne et la construction totale d’une voiture demande près de 650 heures de travail pour une équipe comprenant deux mécaniciens, un électricien et un sellier.

L’atelier d’assemblage des Alpine A 110 situé dans l’usine de Dieppe. À l’arrière-plan, on distingue les carrosseries en Polyester stratifié prêtes à être montées sur les châssis-poutre. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Le cinq paliers de la R8

L’arrivée de la Renault 8 en 1962 fournit à Alpine un nouveau moteur à 5 paliers dont la longueur plus importante nécessite de modifier l’arrière de la Berlinette Tour de France. Initialement d’une cylindrée de 956 cm3, ce quatre cylindres «Cléon fonte», baptisé ainsi car doté d’un bloc en fonte et construit dans l’usine Renault de Cléon en Normandie, offre des possibilités d’évolution particulièrement intéressantes. Grâce à la robustesse de son nouveau vilebrequin, il devient en effet possible d’augmenter la cylindrée du bloc d’origine à 1 108 cm3, 1 255 cm3 puis 1 296 cm3 pour la série en jouant essentiellement sur l’alésage. Parallèlement, Marc Mignotet et Amédée Gordini les prépareront pour la compétition avec le succès que l’on sait. La gamme A 110 1100 comprend un modèle de base «70» utilisant le 1 108 cm3 de la Renault 8 Major, d’une puissance de 66 ch à 6 500 tr/mn. Une version «100» reprenant le moteur de la R8 Gordini à chambre de combustion hémisphérique, développant 95 ch à 6 500 tr/mn, est également disponible avec une boîte Claude à 5 vitesses en option. Il sera fabriqué 114 exemplaires de cette version entre 1965 et 1967.

Pour aller plus loin...

Des Berlinettes étrangères

Au moment de la sortie de la Berlinette Alpine A 110 en 1963, Jean Rédélé envisage d'élargir la production de ses modèles par le biais de l'exportation. Dans ce sens, il crée la structure "Alpine Engineering" à Genève en Suisse, chargée de négocier les contrats de fabrication sous licence à l'étranger. Les chiffres de production de ces Alpine "internationales" restent cependant approximatifs. Le premier pays à se lancer est le Brésil, où 1 500 Alpine sont produites jusqu'en 1966 par Willys Overland do Brazil à Sao Polo, sous le nom d'Interlagos. La plus importante production sera réalisée en Espagne, où 1 904 voitures seront construites par FASA de 1963 à 1978 dans l'usine de Valladolid. Au Mexique, 693 Berlinettes ont été assemblées de 1964 à 1972 sous le nom de Dinalpin par l'entreprise DINA à Vallejo dans la banlieue de Mexico. Enfin, Bulgaralpine a construit une centaine d'A110 de 1967 à 1970 dans l'usine Renault de Plovdiv.

Les Berlinettes A 110 brésiliennes Interlagos conservent les lignes de carrosserie des A108 et reçoivent un élégant entourage de phares chromé. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Renaissance

Le 7 mars 2017, la marque Alpine, propriété de Renault, renait de ses cendres à l'occasion de la présentation officielle du nouveau coupé A 110 au Salon de Genève. La renaissance de la Société des automobiles Alpine SAS avait été annoncée le 5 novembre 2012 par Carlos Ghosn, le PDG du Groupe Renault après un arrêt de production de dix-sept ans. La seconde génération d'Alpine A 110 fait suite à la présentation des Concept-Cars A 110-50 au GP de Monaco de 2012, Alpine Célébration aux 24 Heures du Mans de 2015 et Alpine Vision au Col de Turini en 2016. En décembre de cette même année, une précommande de 1 955 exemplaires "Première édition" (en hommage à la date de création de la marque par Jean Rédélé) est lancée et l'ensemble des modèles est vendu en quelques jours. La production de la nouvelle Alpine A 110 "Classique" débute en décembre 2017 sur le site historique de Dieppe pour une commercialisation en mars suivant. L'A 110 dispose d'un moteur 4 cylindres en ligne Turbo de 1 798 cm3 développant 252 ch à 6000 tr/min. Plusieurs séries limitées ont depuis été proposées : Color Edition en 2020, Légende GT en 2021, Jean Rédélé et Tour de Corse 75 en 2022, tandis que des versions de compétition A 110 Cup, GT4 et Rally sortent de 2017 à 2019.

L'A 110 nouvelle génération, qui rend hommage à sa glorieuse aînée produite jusqu'en 1977, a été élue "Voiture de l'année 2017" par le magazine Auto Moto. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Une ligne remarquable

Si au fil du temps le dessin de la carrosserie de la Berlinette A 110 sera retouché avec discrétion chez Alpine à Dieppe, ses grandes lignes sont l'œuvre du designer italien Giovanni Michelotti. Précédemment, Jean Rédélé lui avait déjà confié l'étude de style des modèles A 106 et A 108 ainsi que celle du coach "Rédélé Spéciale", la première pierre de toute la production Alpine, sur lequel figure déjà la moulure latérale devant les roues arrière caractéristique de la Berlinette. Né le 6 octobre 1921 à Turin, Giovanni Michelotti n'a que 16 ans quand il fait ses débuts chez Pininfarina. Deux ans plus tard, il en est le dessinateur en chef ! Durant sa carrière qui s'achève avec son décès le 23 janvier 1980, il a dessiné des milliers de projets de voitures, dont plus de 1 200 seront produits en série par Ferrari, Maserati, Lancia, Abarth, Triumph ou BMW. Ce créateur au caractère indépendant et éclectique a marqué de son nom la carrosserie italienne des années 1950 et 1960 aux côtés des plus grands que sont à l'époque Bertone, Vignale, Pininfarina ou Zagato.

Le dessin de l'A 110 est si abouti qu'il évoluera très peu entre la version 1100 de 1963 (en haut) à l'ultime 1800 Groupe 4 de 1973. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Le Salon de 1964

La présentation de l'A 110 1100 au 51e Salon de Paris qui se tient du 1er au 11 octobre 1964 à la Porte de Versailles est importante pour la suite de l'histoire de la Berlinette. Le moteur à 4 cylindres et à vilebrequin reposant sur 5 paliers issu de la Renault 8 et de la Caravelle va en effet permettre de nombreux développements qui offriront à l'A 110 une montée en puissance régulière pendant plusieurs années. La nouvelle Berlinette 1100 qui trône sur le modeste stand de la marque dieppoise situé en face de celui de la Régie Renault est proposée au prix de 17 890 Francs pour la version 66 ch et 22 000 Francs pour la version 95 ch issu de la R8 Gordini. La production de ce modèle A 110 1100 s'élève à 111 exemplaires en 1965 dont 58 de la version 95 ch. Pour comparaison avec les concurrentes sportives françaises de l'Alpine équipées du même moteur de 1 108 cm3 Renault, citons la Matra-Bonnet Djet V de 72 ch à 17 500 Francs et la Djet V "S" de 94 ch à 23 000 Francs. Quant à la Renault 8, son prix est de 7 490 Francs pour la version Major de 50 ch et 11 500 Francs pour la version Gordini de 95 ch.

La Berlinette A 110 1100 est la nouveauté du stand Alpine au Salon de 1964. On la voit ici devant le cabriolet et le coach GT4 (à gauche) et la monoplace de F3 (à droite). © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Un précieux collaborateur

Né le 5 mars 1910, Marc Mignotet sera le préparateur attitré des moteurs des Alpine pendant plus de vingt ans et particulièrement celles engagées par l’usine en course. En 1945, après avoir travaillé plusieurs années chez différents constructeurs, ce mécanicien hors pair monte son atelier à Gennevilliers. Il se fait une réputation en préparant des Renault 4 CV pour des pilotes privés parmi lesquels l’ingénieur André-Georges Claude qui a conçu une boîte à 5 vitesses pour la 4 CV. L’un des clients de Claude n’est autre que Jean Rédélé qui voit immédiatement en Mignotet le précieux préparateur qui lui manque lorsqu’il étudie ses premiers prototypes. Dès 1964, Mignotet se penche sur le moteur 956 cm3 des premières A 110 qu’il va ensuite pousser à 1 108 cm3, puis 1 296 cm3. Durant leur collaboration fructueuse qui durera jusqu’au retrait officiel d’Alpine en Rallye en 1974, la plupart des versions de moteurs utilisés en compétition passent entre ses mains. Marc Mignotet cesse son activité en 1985 et s’éteint le 23 décembre 2006.