Jean Rédélé

Rédaction : Albert Lallement  

Monsieur Alpine

En 1955, après avoir été le plus jeune concessionnaire Renault de France et l’un des meilleurs pilotes de rallye de sa génération, Jean Rédélé crée la marque Alpine.

Dans une France qui se relève à peine de la Seconde Guerre mondiale et qui entre doucement dans les fameuses «Trente Glorieuses», une jeune génération innove et entreprend. Jean Rédélé est l’un de ces esprits bouillonnants et doués pour les affaires qui voue par ailleurs une passion dévorante pour la compétition automobile. Des projets ambitieux se dessinent qui vont rapidement se traduire par la conception de modèles dédiés à la course, puis la création de la fameuse marque Alpine.

Au Rallye de Monte-Carlo de 1951, Jean Rédélé et  P. Scott terminent 4e de leur catégorie et 44e au classement général avec leur Renault 4 CV «1063». © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Archives et Collections

Avec Jean-Luc Lagardère, le fondateur de Matra, ainsi que Guy Ligier un peu plus tard, Jean Rédélé fait partie des figures marquantes qui ont permis le renouveau du sport automobile en France. Il a également contribué à faire rayonner notre industrie automobile sur la scène internationale avec Alpine qui s’est imposée magistralement dans toutes les disciplines de la compétition. La marque de Dieppe a en effet été Championne du Monde des Rallyes en 1973, a remporté les 24 Heures du Mans en 1978 avec Renault et a été à la pierre fondatrice de l’aventure de la Régie en Formule 1. Pour parvenir à cette réussite technologique et humaine, il fallait tout le talent et la volonté d’un entrepreneur tel que Jean Rédélé. 

Pour son 70e anniversaire, en 1992, Jean Rédélé devant la Berlinette A 110 1100 est entouré de nombreux membres des clubs Alpine de France.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections 

Sous le sceau du Losange

Le destin de Jean Rédélé est singulièrement associé au losange jaune de la marque Renault. Son père Émile, originaire de Tourcoing, avait été embauché chez Renault, à Billancourt, au sein du balbutiant service Course de l’époque. Il avait épousé une Parisienne, Madeleine Prieur, et était devenu le mécanicien essayeur du pilote officiel de Renault, Ferenc-Szicz. C’est à l’occasion du Grand Prix de l’ACF de 1912, disputé sur le circuit de Dieppe, qu’il décide de s’installer dans la cité normande. Il y fonde un atelier de réparation automobile, puis devient l’un des premiers agents Renault de l’hexagone. Jean Rédélé voit le jour le 17 mai 1922 et son enfance est bercée par le bruit et l’atmosphère des moteurs et de la mécanique. Élève studieux, il prépare son BAC à Rouen, puis la guerre l’éloigne à Limoges où il termine ses études avant d’intégrer l’École des Hautes Études Commerciales (HEC) en 1945 grâce à une bourse d’État. Il choisit de réaliser son stage de fin d’études chez Renault, à la suite de quoi la Régie lui propose une collaboration dans son réseau commercial. Jean choisit de reprendre l’entreprise paternelle «Les Grands Garages de Normandie» à Dieppe et devient ainsi, à 24 ans, le plus jeune concessionnaire Renault de France.

Jean Rédélé présente l’Alpine A 210 de Sports Prototypes au Général de Gaulle et à Pierre Dreyfus le PDG de Renault lors du Salon de l’Auto de Paris de 1968.  © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Un pilote émérite

Parallèlement à cette activité peu lucrative, puisque la vente de voitures neuves est encore fortement contingentée, il se lance dans le reconditionnement de véhicules militaires rachetés aux Domaines. Son métier l’obligeant à parcourir près de 100 000 kilomètres 

par an avec sa Renault 4 CV de service, il devient un conducteur très expérimenté et connaît parfaitement la petite berline Renault. Lorsqu’il commence à s’intéresser à la compétition automobile, c’est logiquement avec la 4 CV qu’il participe à son premier rallye, celui de Dieppe en juillet 1950, qu’il remporte brillamment. Fort de ce succès, il est remarqué par François Landon, le responsable du nouveau service Compétition de la Régie Renault. Lorsque la version compétition usine «1063» de la 4 CV sort, il s’en voit confier un exemplaire et intègre l’équipe officielle aux côtés de pilotes chevronnés comme Rosier, Michy, Estager ou Lecondriller. Il se classe 4e au Rallye de Monte-Carlo de 1951, puis va enchaîner les victoires de catégorie pendant trois saisons lors de ses participations à la Coupe des Alpes (1954), au Liège-Rome-Liège (1952 et 1954), au Tour Auto (1952) ou aux Mille Miglia (1952 à 1954), souvent associé à son ami Louis Pons.

Jean Rédélé, ici dans les stands des 24 Heures du Mans à côté d’Amédée Gordini, était très proche de ses collaborateurs, qu’ils soient ingénieurs ou mécanos de course.  © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©   Archives et Collections

Un entrepreneur dynamique

Tandis qu’il participe à ces nombreux rallyes, une idée commence à prendre forme dans l’esprit de Jean Rédélé, celle de construire ses propres voitures de course. Selon lui, la 4 CV est une formidable petite voiture, dotée d’une mécanique robuste et qui mériterait de recevoir une carrosserie plus aérodynamique et plus légère. Dans ce sens, il commande au styliste italien Giovanni Michelotti le dessin d’une carrosserie sportive qui sera réalisée en aluminium chez Allemano à Turin. C’est le fameux coach «Rédélé Spéciale» qui sera le point de départ de son parcours de constructeur. En 1952, il épouse Michelle Escoffier, la fille de Charles Escoffier, l’un des plus importants concessionnaires Renault de Paris. Ce dernier va l’aider grandement dans la réalisation de son projet en finançant les premières études de la première Alpine A 106, peu après la création de la Société des Automobiles Alpine le 6 juillet 1955. La nouvelle firme est alors domiciliée au 13, rue Forest à Paris 18e, au siège du garage Renault-Escoffier. Deux ans plus tard, les ateliers d’Alpine s’installent rue Pasteur à Dieppe, en lieu et place de la concession familiale.

Pour aller plus loin...

L'œuvre d'une vie

La marque Alpine est née de l'initiative d'un entrepreneur visionnaire et déterminé. Passionné de compétition automobile, Jean Rédélé se lance dans l'aventure de la construction de ses propres voitures sportives en juillet 1955. Les premières Alpine sont équipées de moteurs Renault provenant de la 4 CV et de la Dauphine. En 1962, l'arrivée de la R8 au catalogue de la Régie va permettre l'avènement de la Berlinette A 110, le modèle emblématique du constructeur de Dieppe qui sera produit pendant une décennie. En 1968, les premiers accords entre Renault et Alpine aboutiront progressivement à la reprise de l'entreprise et de son service Course au début des années 1970. L'Alpine A 310 est lancée en 1971 et reçoit un V6 deux ans plus tard, puis est remplacée par la Renault-Alpine GTA en 1984. L'ultime Alpine, l'A 610 Turbo, est présentée en 1990 et sera commercialisée jusqu'en 1995. Si l'usine de Dieppe continue à produire certains modèles sportifs de Renault, il faut attendre 2017 pour voir le retour d'une voiture de la marque Alpine sur le marché. 

Quelques catalogues des premiers millésimes de la production Alpine, comme celui du cabriolet de 1961 (à droite) ou du coach Mille Miles de 1957 (au centre). © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©   Renault D.R. / Archives et Collections

Succès au Tour Auto

Au cours de sa carrière sportive en tant que pilote, Jean Rédélé s'est illustré dans plusieurs épreuves classiques de rallye de l'après-guerre. Parmi celles-ci, le Tour de France Automobile, qui venait de renaitre de ses cendres, lui apportera un grand succès d'estime. Cette course, alors réservée aux voitures de série, était devenue l'une des plus prestigieuses en Europe et Jean Rédélé s'y engagera à cinq reprises. En 1951, associé à William Hammersley, il termine 18e avec une Renault 4 CV 747 cm3. L'année suivante, il signe son meilleur résultat, 3e au classement général et 1er dans la classe 500 à 750 cm3, avec une Renault 4 CV "1063" préparée par ses soins qu'il partage avec Paul Moser. En 1953, le même équipage termine 2e de la catégorie Voitures de série avec une 4 CV "1062", puis en 1954 Jean Rédélé se classe 15e, toujours sur Renault 4 CV, copiloté par Louis Pons. Pour l'édition de 1956, les deux amis disputent l'épreuve avec une Alpine A 106, mais sont contraints à l'abandon.

Au Tour de France Automobile de 1951, Jean Rédélé et son navigateur William Hammersley terminent 18e au classement général et 3e de la catégorie 750 cm3 au volant de leur Renault 4 CV "1063". © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

Au nom du père

Jean-Charles Rédélé, le fils du fondateur d'Alpine, est né le 12 décembre 1962 à Paris. Au début des années 1990, il commence par restaurer plusieurs prototypes qui étaient restés en sommeil dans l'usine de Dieppe. Marchant dans les pas de son père, il s'attache à rassembler les voitures, de série comme de compétition, ainsi que les différents prototypes qui ont marqué l'histoire de la marque Alpine. Au fil du temps et de l'avancée des restaurations, la "collection" Rédélé s'étoffe et prend part régulièrement à des manifestations de véhicules anciens tels que le Classic Days, perpétuant ainsi l'héritage familial. Jean-Charles Rédélé est le dirigeant de la Société Ambre Automobiles qui gère plusieurs garages automobiles. Parallèlement, il participe à des courses de véhicules historiques et plus récemment à des épreuves de GT4 au volant de la nouvelle Alpine Renault, associé à Nicolas Prost, le fils du quadruple Champion du Monde de F1.

À l'occasion du 40e anniversaire d'Alpine en juillet 1995, Jean-Charles Rédélé et son père posent ensemble sur la terrasse du garage Rédélé-Escoffier, rue Forest à Paris, devant une Berlinette A 110 1100. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Renault D.R. / Archives et Collections

Ingénieur dans l'âme

Avant même de créer sa propre marque automobile, Jean Rédélé a toujours cherché à modifier et améliorer les voitures sur lesquelles il courait, principalement des Renault 4 CV. Dans ce sens, il s'entoure très tôt d'ingénieurs ou de préparateurs avec lesquels il continuera à entretenir des relations étroites lorsqu'il se lancera dans l'aventure Alpine. Ainsi, en 1952, utilise-t-il pour la première fois en course la fameuse transmission Claude. Cette boîte de vitesses à 5 rapports a été conçue par André-Georges Claude, un pilote émérite qui avait créé la Satecmo, une entreprise spécialisée dans la fabrication d'élément de compétition pour le moteur de la 4CV. Jean Rédélé et Louis Pons en rachètent le brevet en 1952 et la produisent dans les ateliers de Pons, rue de Javel à Paris. Très souple d'utilisation, la boîte Claude sera bientôt adoptée par François Landon qui venait de prendre la direction du nouveau service Compétitions de la Régie Renault.

Jacques Henry, le lauréat du Challenge Alpine de 1970, est entouré de Jean Rédélé et de Marc Mignotet, le fidèle préparateur des moteurs de courses des Berlinettes A 110 de 1964 à 1974. © IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo ©  Renault D.R. / Archives et Collections

Le nom Alpine

La Société des Automobiles Alpine voit le jour le 6 juillet 1955. Jean Rédélé s’est souvent expliqué sur l’origine du patronyme choisi lors de la création de sa marque. Il a été adopté en référence au Critérium International des Alpes de 1954 où Jean Rédélé et son fidèle coéquipier Louis Pons venaient de s’illustrer au volant d’une Renault 4 CV R 1063 officielle en remportant leur catégorie 750 cm3 et en terminant 2e au classement général. Jean Rédélé racontera plus tard : « J’ai choisi le nom Alpine pour ma firme car il représente pour moi le plaisir de conduire sur les routes de montagne. C’est en sillonnant les Alpes avec ma 4 CV à boîte 5 que je me suis le plus amusé. Cette conduite passionnante, il fallait que mes clients la retrouvent au volant de la voiture que je voulais construire. Alpine est un nom qui sonne bien, c’est également un symbole ».

Jean Rédélé pilote au Mans

Bien avant que ses voitures Alpine disputent les 24 Heures du Mans, Jean Rédélé a participé en tant que pilote à deux reprises à cette grande épreuve d’Endurance. En 1952, il est intégré à l’équipe d’usine Renault et partage avec Guy Lapchin le volant d’une 4 CV «1063» spécialement préparée par le «Service des essais spéciaux» de la Régie. En tête de la catégorie 750 cm3 à trois heures de l’arrivée, la voiture qui porte le n° 67 rétrograde brusquement dans le classement à cause d’une surchauffe du moteur. Elle se classe finalement 17e au général et 4e de sa classe. L’année suivante, Jean Rédélé fait équipage avec Louis Pons à bord d’une barquette prototype Renault 4 CV «1063» officielle carrossée par Vernet-Pairard dotée d’un moteur de 747 cm3. La voiture qui porte le N° 54 abandonne dès la 4e heure de course, moteur cassé.

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