La 141-R et les lignes de montagne

Auteur :  Clive Lamming

Contrairement aux routes qui ont des rampes qui se mesurent en centimètres par mètre, les chemins de fer, qui transportent des charges par centaines de tonnes avec une dépense énergétique dérisoire, n’acceptent que des rampes qui se mesurent en millimètres par mètre. Un train de 2 000 tonnes peut être tracté à 100 km/h par une locomotive diesel d’une puissance de 2 000 ch, soit un cheval par tonne ! Un camion de 40 tonnes demande 400 ch, soit 10 fois plus d’énergie.

Les rampes constituent un véritable enjeu du chemin de fer. De plus, contrairement au cas des moteurs diesel ou essence, la puissance des moteurs à vapeur décroit avec la vitesse : elle est donc maximale au départ (à l’ « arraché ») du train et décroit rapidement ensuite si on accélère. C’est ainsi que la charge remorquée possible de 3 000  tonnes à 20 km/h, n’est plus que de 400 tonnes à 110 km/h. Mais à vitesse égale, la charge remorquée est divisée par 3 ou 4 si l’on passe du palier (absence de rampe) à une simple rampe de 10 mm par mètre. 

On ne leur aura rien épargné… et ces braves 141-R se retrouvent, dès leur mise en service, sur la redoutable et redoutée ligne de montagne dite « Ligne des Alpes », reliant Grenoble à Marseille par le col de la Croix-Haute et la vallée de la Durance. Ici une « R » reprend son souffle en gare de Clelles-Mens, près du col.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

La troisième caractéristique est le graissage mécanique automatique généralisé sur la locomotive, ce qui permet de longs parcours sans souci de surveillance et d’interventions, sans risque d’échauffements voire de pannes.

La quatrième caractéristique est un appareillage auxiliaire simple et robuste, et qui est d’un fonctionnement sûr avec un entretien peu onéreux. Les pompes d’alimentation en eau, les réchauffeurs d’eau, les injecteurs, les compresseurs, et même les turbodynamo sont mécaniquement robustes, simples, sûrs, et créent un climat de confiance et d’efficacité parmi les équipes de conduite ainsi qu’auprès des équipes d’entretien des ateliers.

Les voitures SNCF dites « DEV AO » (pour Division des Études de Voitures et Acier Ordinaire) ont, par leur date de naissance lors de l’immédiat après-guerre, été tractées par d’innombrables 141-R pour les trains régionaux à vitesse disons limitée. Ici une rare vue 141-R-1187 en 1975, lors d’une sortie d’amateurs, prise par J.H. Renaud.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Un exploit sur la ligne des Alpes

Si les 141-R n’ont jamais eu les honneurs des « belles marches » des Pacific ou des Mountain du fait de leur vitesse limitée, leur puissance, notamment en montagne, leur a valu de réaliser des exploits mémorables. Sur la ligne des Alpes, lors d’un grand départ en vacances de Pâques en 1962, le train spécial 11902 est remorqué par les BB diesel 66039 et 66040 du dépôt de Portes-lès-Valence, mais il « se plante » en courbe à la sortie de Gap, près du point kilométrique 264, ne pouvant affronter la rampe de 25 pour mille conduisant à La Freissinouse. Les deux locomotives diesel partent lamentablement, les moteurs chauffent, mais le train reste immobile. Il fallut demander « un secours par l’avant » et la seule locomotive disponible était une seule 141-R fuel, allumée, et en attente au dépôt de Veynes pour assurer un train jusqu’à Marseille-Blancarde, son dépôt d’attache. La machine arrive à 23 heures sur le « lieu de détresse » et elle est attelée en tête du train qui est formé de deux locomotives et quinze voitures anciennes type OCEM du PLM ; soit quand même 875 tonnes en tout ! Sans aucun patinage, la 141-R démarre le train immédiatement, faisant entendre dans la nuit ses puissants coups d’échappement qui réveillent les garde-barrières et les chefs de gare.

Les photographies, notamment des 141-R, de Lucien-Maurice Vilain sont des grands classiques, toujours soigneusement mises en scène. Ici nous sommes sur le viaduc de Bonson,de la ligne des Alpes.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Des exploits sur les lignes à fortes rampes 

Sur la ligne très sinueuse et accidentée de la Côte d’Azur, les 141-R se retrouvent en charge du fameux train « Mistral » dont le poids se situe entre 300 et 400 tonnes, selon les jours et les compositions, ou d’autres trains très lourds pesant jusqu’à 800 tonnes. Les trajets de Marseille à Toulon (67 km) oude Toulon à Saint-Raphaël (94 km) sont couverts en 44 et 61 minutes respectivement, à des vitesses à peine supérieures à 90 km/h, peut-être, mais sur des parcours comportant des rampes très fortes de l’ordre de 8 pour mille. Même les Pacific ou les Mountain n’auraient pas fait mieux. 

Les « R » exclues des lignes du Massif-Central, des Causses, des Cévennes

Ces lignes n’ont guère de « R » en circulation, car elles comportent de nombreux tunnels. Or les « R » ont un gabarit très généreux, bien rond, occupant au maximum l’espace disponible, si bien que, dans les tunnels, l’air circule mal autour des machines et dans l’abri de conduite la température atteint des sommets ! Les escarbilles sont entraînées par un violent déplacement d’air et envahissent les compartiments des trains de voyageurs. Les « R » seront, de ce fait, plutôt « tricardes » au sud de Nevers, notamment sur la ligne de Langeac dite « ligne des cent tunnels ». 

AILLEURS, À LA MÊME ÉPOQUE

La plus belle locomotive française

La locomotive 232 U 1 de type Hudson a officié de 1949 à 1960 en France sur le trajet Paris-Lille. Elle est toujours considérée aujourd’hui par les amateurs de chemins de fer comme une réussite esthétique tant ses lignes sont pures et aérodynamiques. 

Pour beaucoup de cheminots et d’amateurs du monde entier, l’unique 232 U 1 fut la plus belle locomotive à vapeur française. Chef-d’œuvre de l’ingénieur Marc de Caso, construite en 1949, à une époque où la vapeur était pourtant déjà irrémédiablement condamnée, cette machine annonçait la nouvelle génération des locomotives à vapeur modernes. Mais elle est née trop tard à une époque où, définitivement, la traction vapeur était condamnée sur le réseau SNCF pour laisser la place à la traction électrique.

La magnifique 232 U 1 vue, en service, à la gare du Nord dans les années 1950. Mise dans le roulement des Pacific Chapelon ou des 241-P qui ne lui faisaient pas de cadeau sur le plan des performances, la 232 U 1 a su tenir et ne pas trop solliciter les ateliers du dépôt de La Chapelle.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

Comment surpasser les Pacific ?

Construite en 1948 par les établissements Corpet-Louvet à la Courneuve, elle reçoit la quasi-totalité des perfectionnements disponibles à l’époque, plus des roulements à aiguille ou à rouleaux sur l’ensemble du mécanisme. C’est ainsi qu’elle est dotée d’équipements très sophistiqués comme un système de démarrage automatique dosant la vapeur dans les cylindres haute et basse pression, des boîtes à huile et coins de rattrapage automatique de jeux sur les bielles, etc. Longue de 15,7 m, pesant 131 tonnes, elle est capable de fournir 2 000 kW (2 800 ch) grâce à sa grille de foyer d’une surface de 5 175 m2. Elle est mise en tête de trains rapides de plus de 560 tonnes pour le 120 km/h, et cette belle machine connaît une utilisation suivie sur la relation Paris-Lille. 

TOUTE UNE ÉPOQUE

Fine coursière aux pieds légers, la 230-K-249, un peu carénée pour la circonstance, a été une des victimes désignées pour la traction, pénible, du « train sur pneus » que la SNCF essaie sur la ligne Paris-Strasbourg en 1949-1950. Ici le train est au dépôt, comme le montrent les escaliers d’accès déployés. Les autorails Bugatti font mieux, question vitesse.© IXO Collections SAS - Tous droits réservés. Crédits photo © Collection Trainsconsultant-Lamming

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